04 oct 2018Report
Impact de l’exploitation de la bauxite sur les droits humains en GuinéeL’exploitation de la bauxite, si elle n’est pas correctement réglementée, met en péril le mode de vie et les moyens de subsistance de dizaines de communautés qui vivent à proximité des activités d’exploitation minière », a déclaré Jim Wormington, chercheur à la Division Afrique de Human Rights Watch. « L’accroissement du secteur de la bauxite a trop souvent pris le pas sur la protection de l’environnement et des droits humains ».
Si la Guinée possède d’abondantes ressources naturelles, parmi lesquelles les plus grands gisements de bauxite, elle n’en reste pas moins l’un des pays les plus pauvres de la planète. Ces dernières années, la demande de bauxite guinéenne sur les marchés mondiaux a augmenté car l’exportation de ce minerai a été interdite par certains pays, notamment l’Indonésie et la Malaisie (la Malaisie ayant pris cette décision en partie à cause de l’impact environnemental de l’industrie minière). La Guinée est déjà le premier exportateur de bauxite vers la Chine, qui est le plus gros producteur d’aluminium du monde. En outre, avec plusieurs nouveaux projets miniers sur le point de commencer l’exportation de leur production, le boom de la bauxite ne montre aucun signe de ralentissement.
Human Rights Watch a mené des entretiens avec plus de 300 personnes dans 30 villages touchés par l’exploitation minière dans la région de Boké, épicentre du boom de la bauxite, et a rencontré des dizaines de fonctionnaires gouvernementaux, d’employés de sociétés minières, de membres de groupe de la société civile, de scientifiques spécialistes de l’environnement et d’experts de la santé publique.
Des dizaines d’agriculteurs ont expliqué comment les sociétés minières profitent de l’absence de protection par le gouvernement des droits fonciers ruraux pour exploiter des terres ancestrales sans offrir aux communautés d’indemnisation leur permettant de compenser sur le long terme la valeur des terres perdues. Depuis l’adoption du Code minier de 2011, le gouvernement n’a mis en place aucune réglementation, comme l’exige le code, qui établisse des normes d’indemnisation uniformes pour l’acquisition de terres afin de mieux protéger les droits des agriculteurs.
« Ils exploitent maintenant la terre de nos champs, dont nous étions dépendants pour pouvoir manger », a déclaré un leader communautaire de Boundou Waadé, un village entouré par cinq sites miniers de CBG. « Aujourd’hui, une grande partie de nos terres fertiles nous a été prise ».
Alors que les indemnisations versées par les sociétés minières peuvent représenter un montant conséquent sur le court terme, les agriculteurs sont rarement sensibilisés par le gouvernement ou les sociétés minières sur la manière d’investir cet argent. « J’ai utilisé l’argent de l’indemnisation pour envoyer mes deux fils en Europe [par la route migratoire de l’Afrique du Nord] », a expliqué un père. « Mais depuis qu’ils sont arrivés en Libye, je n’ai eu aucune nouvelle. J’ai peur qu’ils soient en prison ou morts ».
Bien que les femmes participent à l’agriculture, la plus grande part de l’indemnisation est versée aux hommes qui jouent un rôle dirigeant au sein de la famille ou de la communauté. « Quand il s’agit de donner, nos maris font comme bon leur semble, même si ce que la terre produisait était utilisé par chacune et chacun d’entre nous », a déclaré une femme. Si certains hommes peuvent obtenir des emplois dans les sociétés minières en compensation des terres perdues, rares sont les propositions d’embauche faites aux femmes. En septembre 2018, la SMB employait plus de 7 600 personnes, dont 274 seulement étaient des femmes.
De nombreux habitants ont affirmé que les activités d’exploitation minière ont engendré une baisse du niveau et de la qualité des eaux des rivières, des cours d’eau et des puits de la région, menaçant le droit à l’eau de plusieurs milliers de personnes. Dans des communautés voisines des mines de la SMB, les dégâts subis par les sources d’eau ont contraint les villageois à dépendre de la SMB pendant de longues périodes pour leur approvisionnement en eau, qui leur était livrée par camion-citerne. « Certains jours, les camions-citernes apportent de l’eau sale », a expliqué un leader communautaire. « Nous devons conserver l’eau propre que nous avons et attendre la livraison suivante ».
Des dizaines d’habitants ont également déclaré que leurs vies avaient été durement affectées par la poussière rouge produite par l’extraction et le transport de la bauxite, qui recouvre les villages et les récoltes et pénètre dans les maisons. Les habitants de villages, dont beaucoup se sont dit persuadés que l’exploitation minière contribuait déjà aux maladies respiratoires, s’inquiètent des répercussions à plus long terme sur la santé.
En mai 2018, le gouvernement de la Guinée a expliqué à Human Rights Watch dans un courrier que seuls les projets conformes aux critères environnementaux et sociaux reçoivent son accord. Le gouvernement a également garanti « Assumer pleinement ses fonctions de puissance publique pour faire respecter sa réglementation [relative au secteur minier] et de contrôler les activités des entreprises. »
Toutefois, même si les institutions gouvernementales ont vu leurs capacités en matière de supervision des sociétés minières renforcées ces dernières années, les ressources humaines et budgétaires et la volonté politique font défaut pour pouvoir exercer un contrôle effectif sur des projets dont le nombre ne cesse d’augmenter. « Nous sommes un pays pauvre, et nous avons besoin d’emplois pour nos jeunes et d’écoles pour nos enfants », a expliqué Seydou Barry Sidibé, Secrétaire général du ministère guinéen de l’Environnement. « Nous constatons que des sociétés minières ne respectent pas les mesures environnementales et sociales qu’il faut [respecter], mais ce n’est pas facile pour nous de fermer d’un trait ces sociétés ».
Lors de réunions ou dans des courriers échangés avec Human Rights Watch, les sociétés minières ont mis en avant les efforts qu’elles ont déployé afin de stimuler le développement local et d’atténuer les effets néfastes de l’exploitation minière. La SMB, dans un courrier de septembre 2018 à Human Rights Watch, a déclaré : « le respect des droits humains constitue le pilier sur lequel reposent nos valeurs », et a répondu en détail aux faits exposés dans le rapport. La CBG a elle aussi apporté une réponse détaillée aux conclusions du rapport, en soulignant le fait que, depuis qu’elle a reçu un prêt d’un organisme affilié à la Banque mondiale en 2016, elle a pris de nombreuses mesures pour améliorer sa gestion environnementale et sociale.
L’expansion continue du secteur de la bauxite devrait s’accompagner d’un renforcement des capacités du gouvernement en matière de supervision des activités de l’industrie minière et de protection des droits des membres des communautés, a estimé Human Rights Watch. Si le gouvernement souhaite attirer des investissements, il devrait aussi imposer des sanctions et mettre un terme aux projets miniers lorsque les sociétés bafouent de manière flagrante ou répétée les dispositions du droit humain international et de la législation guinéenne en matière d’environnement et de droits humains et sociaux.
« Dans les années à venir, le secteur de la bauxite en Guinée va poursuivre son expansion », a conclu Jim Wormington. « Le gouvernement doit veiller à ce que les citoyens guinéens ordinaires, en particulier ceux qui vivent au plus près des activités de l’exploitation minière, bénéficient de la croissance rapide de l’industrie minière et n’en deviennent pas les victimes. »