Dokument #1124913
IRB – Immigration and Refugee Board of Canada (Autor)
Le document publié en avril 1994 par la DGDIR et intitulé Les femmes en Somalie comprend une section qui porte sur la mutilation des organes génitaux de la femme et une autre sur les organisations de femmes en Somalie. Les recherches effectuées plus récemment par la DGDIR corroborent d'une manière générale l'information présentée dans ce document. L'information récente sur ce sujet est difficile à obtenir : la chute du gouvernement en 1991 a mené à la guerre civile, causé l'effondrement de l'État et de ses institutions, et forcé le départ du pays de plusieurs organismes internationaux. La présente Réponse à la demande d'information se veut donc un complément et une mise à jour du document mentionné ci-dessus, qu'il est préférable d'avoir lu au préalable.
La pratique de la mutilation des organes génitaux de la femme en Somalie
Fouzia Ismail, infirmière d'origine somalienne travaillant avec la communauté somalienne à Ottawa et militante dans les domaines de la santé des femmes, a affirmé le 15 août 1996, au cours d'une entrevue avec la DGDIR, que l'on ne possède pas de chiffres actuels sur la pratique en Somalie, mais que la mutilation des organes génitaux des jeunes filles, surtout dans sa forme la plus radicale, qui est l'infibulation, demeure largement répandue non seulement dans le pays, mais également parmi les réfugiés somaliens à l'extérieur du pays. Un article publié dans The Record (9 juill. 1996) affirme que [traduction] « Presque toutes les Somaliennes sont circoncises [...] ». Dans son rapport sur la mutilation génitale publié en 1994, Fran Hosken estime que 98 p. 100 des femmes en Somalie ont subi la mutilation des organes génitaux (44). On estime en outre que plus de 80 p. 100 des Somaliennes ont subi l'infibulation (Dorkenoo 1994, 118; John Hopkins University Population Information oct. 1995; The Record 9 juill. 1996). Dans un entretien téléphonique avec la DGDIR, Asha Samad, directrice du programme d'études sur les femmes et spécialiste d'études africaines au City College de New York, a déclaré qu'à son avis, ces estimations ne sont pas exagérées et qu'elles reflètent bien la réalité somalienne (23 août 1996). Selon certaines sources, dans les pays où il existe des lois sévères contre la mutilation génitale, certains parents choisissent d'envoyer leurs filles en Somalie pour leur faire subir l'opération (The Toronto Star 13 nov. 1994; The Calgary Herald 26 nov. 1993; Ismail 15 août 1996).
Les méthodes
L'infibulation, la forme de mutilation
génitale la plus courante en Somalie, est effectuée
généralement au cours des douze premières
années de la vie d'une jeune fille (Ismail 15 août
1996; The Vancouver Sun 11 févr. 1993). Cette
méthode consiste au sectionnement du clitoris, des petites
lèvres et d'au moins une partie des grandes lèvres de
l'organe sexuel féminin (The Canadian Journal of Human
Sexuality 1995, 138; Dorkenoo 1994, 5; Nations Unies
août 1995, 8; Hosken 1995, 33). Par la suite, les deux
côtés de la vulve sont recousus ou recollés, ne
laissant qu'une petite ouverture pour permettre le passage de
l'urine et du flux menstruel (ibid.; The Canadian
Journal of Human Sexuality 1995, 138; Koso-Thomas 1992, 17;
Dorkenoo 1994, 5).
De nos jours, dans les milieux ruraux en Somalie, les jeunes filles continuent d'être infibulées par un membre, presque toujours féminin, de la famille ou du voisinage, et, en général, dans des conditions non hygiéniques et sans anesthésie (Ismail 15 août 1996; Samad 23 août 1996; Hosken 1994, 114-115; voir aussi The Canadian Journal of Human Sexuality 1995, 139). L'enfant nue est solidement tenue par plusieurs femmes qui l'empêchent de bouger, pendant que l'une d'elles procède au découpage des organes génitaux avec un couteau (Hosken 1994, 114-115; Ismail 15 août 1996; The Canadian Journal of Human Sexuality 1995, 139; Nations Unies août 1995, 9). Par la suite, les jambes de l'enfant sont bandées de la taille aux chevilles pour une période de quelques semaines durant laquelle elle doit rester étendue jusqu'à ce que la blessure se cicatrise (Dorkenoo 1994, 5; Hosken 1994, 33; The Canadian Journal of Human Sexuality 1995, 139; Nations Unies août 1995, 9). Dans les centres urbains, toutefois, et dans les milieux instruits, on tend de plus en plus à choisir une forme moins radicale de mutilation génitale, à faire effectuer l'intervention chirurgicale dans des centres médicaux par des professionnels de la santé et à utiliser plus souvent l'anesthésie locale (Ismail 15 août 1996; Samad 23 août 1996; Hosken 1994, 115). Le docteur G. Pieters, qui a déjà exercé la médecine en Somalie, a affirmé que dans tous les centres urbains en Somalie, l'opération est faite dans des hôpitaux, et que dans certaines familles urbaines aisées, les parents amènent leurs enfants chez des médecins privés pour que l'opération soit effectuée sous anesthésie générale (Hosken 1994, 116).
Les conséquences du refus
Selon les sources, les Somaliennes n'ont
pas d'autres choix que de subir la mutilation génitale
(The Toronto Star 13 nov. 1994; Ismail 15 août
1996), non seulement parce qu'elles sont trop jeunes pour prendre
des décisions au moment où on les opère
(ibid.), mais aussi parce que la pression de la
société sur les parents et les proches est telle
qu'ils finissent par y céder même s'ils s'opposent
à la pratique [tomek1] (ibid.; The
Toronto Star 13 nov. 1994; The Record 9 juill. 1996).
Un rapport dans The Canadian Journal of Human Sexuality
affirme que [traduction] « même si la mère
décide de ne pas faire subir l'opération à sa
fille, il est possible que des parentes ou une grand-mère
imposent la mutilation génitale à la fillette lorsque
la mère est absente » (1995, 139). Selon une
étude des Nations Unies publiée en 1995, les femmes
qui ne subissent pas la mutilation génitale dans les
sociétés où cette pratique est courante
s'exposent à un ostracisme social et ont de la
difficulté à se trouver un mari, et ce dans un
contexte où les femmes seules n'ont que des moyens
limités de gagner leur vie (Nations Unies 1995, 73).
La tradition de la mutilation génitale, affirme Ismail, demeure tellement ancrée dans la mentalité et dans la culture des Somaliens qu'il est difficile pour une Somalienne de concevoir la vie au sein de sa communauté sans passer par ce rite. Ismail a cité l'exemple d'une Somalienne qui, orpheline de mère depuis sa plus tendre enfance, a grandi sans avoir subi l'opération et a fini par se suicider, le mépris et le rejet de sa communauté lui ayant rendu la vie intolérable. Selon le docteur Mohammed Haddi, cité par The Record, [traduction] « le mariage étant une nécessité économique dans les pays où la circoncision est pratiquée, celle-ci est "considérée comme un acte d'amour plutôt que de cruauté" » (9 juill. 1996)2. Asha Samad a remarqué que, dans la perspective d'une personne somalienne, il peut sembler pour le moins étrange de qualifier la mutilation génitale de « violation des droits de la personne »; au contraire, a-t-elle ajouté, en Somalie, c'est la « norme » (23 août 1996). De même, Kowser Omer Hashi, spécialiste de la santé des femmes, militante en faveur de l'abolition de la mutilation génitale et auteure de plusieurs articles sur le sujet, a déclaré que [traduction] « La mutilation génitale n'est pas considérée [par les Somaliens] comme une forme de violence contre les femmes et les fillettes; elle est plutôt considérée comme une source d'appartenance à la communauté » (Canadian Woman Studies /Les Cahiers de la femme 1994, 63). Samad a précisé, en outre, que l'infibulation, qui était à la baisse dans les milieux urbains depuis plusieurs années, serait de nouveau à la hausse, les parents faisant subir l'infibulation à leurs filles comme une forme de protection contre le viol devenu courant en temps de guerre (23 août 1996).
Organisations de femmes
Le mouvement de femmes africaines en faveur
de l'abolition de la mutilation génitale, mouvement qui
oeuvre à l'échelle internationale, n'a pas connu de
succès jusqu'à présent en Somalie, car la
guerre civile a changé les priorités et les
préoccupations des organismes humanitaires et des
organisations non gouvernementales (ONG) (Ismail 15 août
1996; Samad 23 août 1996). Une lettre envoyée le 2
septembre 1996 à la DGDIR par le Comité
inter-africain pour l'abolition des pratiques traditionnelles
précise, en effet, que l'organisme [traduction] « n'a
aucun contact en Somalie depuis le début de la guerre
». En outre, la disparition des structures et des
institutions de l'État, ainsi que du système
judiciaire, a entraîné la dissolution des groupes
officiels de femmes qui oeuvraient auparavant à
l'amélioration de la condition de la femme et à
l'abolition des pratiques telle l'infibulation (West
Africa 20-26 nov. 1995, 1798-1799; Ismail 15 août 1996;
Samad 23 août 1996; Hosken 1994, 399). De même, un
article paru en juin 1995 dans Our Rights souligne les
difficultés qu'éprouvent les Somaliennes à
organiser des séances d'information aux niveaux
international et local, en raison de l'absence d'institutions
formelles dans le pays.
Néanmoins, selon certaines sources,
il existe en Somalie un mouvement populaire de femmes contre la
mutilation des organes génitaux de la femme (Comité
inter-africain 2 sept. 1996; Ismail 15 août 1996). Un article
dans Inter-African Committee Newsletter parle d'une petite
ville centrale appelée « Luuq » où un
groupe de 22 accoucheuses traditionnelles se serait prononcé
en faveur de l'abolition de la pratique (juin 1996, 9). Par
ailleurs, un rapport des Nations Unies intitulé From
Relief to Development in Somalia fait mention d'un groupe de
femmes appelé Al-Hanan qui aurait tenu une session de
sensibilisation contre la mutilation génitale, à
Mogadiscio, en juin 1996 (Nations Unies s.d.). Pour sa part,
l'article dans West Africa soutient que [traduction]
« les initiatives des femmes somaliennes jouent
déjà un rôle important dans certaines
régions du pays » (20-26 nov. 1995, 1799). L'article
ne précise pas, toutefois, si ces femmes
s'intéressent à la question de la mutilation
génitale (ibid.). Dans la république
autoproclamée indépendante du Somaliland, on signale
une activité officielle en faveur de l'abolition de la
pratique, et ce avec l'appui de l'UNICEF (The Record 9
juill. 1996; Ismail 15 août 1996; Nations Unies juin 1996,
8).
Cette réponse a été préparée par la DGDIR à l'aide de renseignements puisés dans les sources qui sont à la disposition du public, et auxquelles la DGDIR a pu avoir accès dans les délais prescrits. Cette réponse ne prétend pas être un traitement exhaustif du pays étudié, ni apporter de preuves concluantes quant au fondement d'une demande d'asile ou de statut de réfugié.
Références
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NOTES :
1 Il existe plusieurs
expressions pour décrire la mutilation des organes
génitaux de la femme. La DGDIR, par exemple, a
déjà utilisé l’appellation «
mutilation génitale féminine » (MGF).
2 Voir également
The Canadian Journal of Human Sexuality 1995, 138.
Information on female genital mutilation in Somalia, on the methods used in various regions and on the consequences of refusal; also, information on the presence in Somalia of women's organizations concerned with this issue [SOM25105.FEX] (Anfragebeantwortung, Englisch)