Dokument #1024927
IRB – Immigration and Refugee Board of Canada (Autor)
Ce qui suit présente, en traduction
française, le contenu d'une entrevue avec l'auteure d'un
ouvrage anecdotique sur l'immigration de citoyens de l'ancienne
Union soviétique vers Israël1, de même que d'un
article savant sur le même sujet qui a été
publié dans Israel Affairs2. L'entrevue a eu lieu à
Jérusalem, le 9 mai 1995.
Naomi Shepherd vit en Israël depuis
1957; elle a enseigné à l'université
hébraïque de Jérusalem et a travaillé
pendant de nombreuses années comme journaliste pour des
journaux étrangers. Depuis 12 ans, elle effectue des
recherches historiques. L'information recueillie lors de cette
entrevue porte surtout sur l'histoire, car Mme Shepherd croit qu'il
faut connaître l'histoire du Moyen-Orient si l'on veut
comprendre la situation actuelle.
Historique
L'Empire ottoman répartissait ses
sujets en collectivités confessionnelles. Les
chrétiens et les Juifs constituaient des minorités
puisqu'ils faisaient partie d'un empire musulman. Afin
d'éviter autant que possible les frictions entre les
musulmans et les minorités, ces dernières ont obtenu
une très grande autonomie pour ce qui est des questions
liées à leurs choix personnels (ex., mariage,
divorce, héritage, inhumation, etc.). En d'autres termes,
ils ont pu appliquer leurs croyances religieuses, ce qui, à
une époque où la religion avait
préséance sur tout, était très
important. Il faut se rappeler qu'à cette époque le
mariage civil était une notion tout à fait inconnue.
Les groupes religieux ont obtenu le droit d'avoir leurs propres
conseils religieux et de percevoir leurs propres impôts aux
fins du culte. Ce système, appelé millet (ou millah)
permettait de diriger de façon raisonnable les
minorités religieuses.
Lorsque les Britanniques ont conquis
l'Empire ottoman, ils ont conservé le système millet.
Ce système était très commode pour eux car ils
ne voulaient pas se mêler de ce genre de questions
religieuses et théologiques très complexes. Les
Britanniques considéraient que les Juifs orthodoxes
étaient des gens paisibles dans la mesure où on ne
bousculait pas leurs activités religieuses, surtout pour ce
qui est des questions liées à leurs choix personnels
et religieux.
Lorsqu'Israël est devenu un
État en 1948, le système millet a également
été conservé, mais à d'autres fins que
la direction des groupes religieux. Les Juifs orthodoxes
constituaient une force politique que les nouveaux dirigeants de
l'État devaient reconnaître. Des partis politiques
appuyés par les Juifs orthodoxes étaient nés
en Europe de l'Est; ils se sont simplement
réinstallés en Israël. Ils avaient pour but de
négocier avec des partis politiques beaucoup plus importants
qu'eux et de former des gouvernements de coalition, ce qu'ils
réussissaient à faire. Cette situation leur a
donné la possibilité de négocier le maintien
de leurs lois religieuses. C'est ainsi qu'ils ont pu obtenir
l'autonomie dans leurs affaires personnelles. Ces questions ont
dû être réglées principalement par le
ministère de l'Intérieur et le ministère des
Affaires religieuses. Le ministère de l'Intérieur a
toujours été le domaine des partis religieux et ce
sont les fonctionnaires appartenant à ces derniers qui
appliquent les critères rabbiniques pour délivrer les
documents attestant la « nationalité » des
citoyens. Cette définition particulière, qui est
reprise sur toutes les cartes d'identité, indique
l'affiliation du détenteur à une dénomination
religieuse donnée (ex., « Juif », «
musulman », etc.) - héritage du système millet
- et n'a rien à voir avec le concept séculier de la
« nationalité » tel qu'on l'entend en Occident.
Pour les Juifs orthodoxes, est Juif celui qui est né d'une
mère juive ou qui s'est converti au Judaïsme selon les
critères orthodoxes, et qui n'est pas membre d'une autre
religion. Ainsi, un immigrant de l'ancienne Union soviétique
né d'un père juif ou ayant d'autres liens indirects
avec une famille juive, mais qui ne s'est pas converti à la
religion juive, sera inscrit à la rubrique «
nationalité » comme « Russe », «
Ukrainien », « Estonien », etc. Cet immigrant
bénéficiera cependant de la citoyenneté
israélienne complète en vertu de la loi sur le
retour. Il apparaît donc clairement qu'il y a discordance
entre le monopole juif orthodoxe, ou rabbinique, quant aux
questions liées au choix personnel, et la loi sur le retour
dont les dispositions tiennent compte de la réalité
moderne et laïque.
Le parti le plus orthodoxe, l'Agudat
Israël, exerce une grande autorité sur les citoyens de
Jérusalem, qui est au centre du pouvoir politique en
Israël. Aujourd'hui, le parti Shas, composé de Juifs
orthodoxes du nord de l'Afrique, a également une grande
influence. Même s'il y a divergence d'opinion entre les Juifs
orthodoxes du nord de l'Afrique et ceux d'Europe de l'Est, tous
reconnaissent la nécessité d'incorporer les lois
religieuses inscrites dans le Talmud au système juridique de
l'État. C'est ce qui s'est produit. Ainsi, le droit
personnel comprend l'inscription des questions liées au
statut personnel des citoyens, y compris les nouveaux immigrants.
Il est intéressant de noter que, lorsqu'on étudie les
jugements d'un organisme séculier comme la cour
suprême d'Israël, il y a presque toujours un juge qui,
dans le cas de questions autres que celles liées au statut
personnel, cite des précédents tirés du droit
biblique et des principes du Talmud, même si seul le droit
personnel relève directement de la compétence des
tribunaux rabbiniques. Les partis religieux essaient
d'élargir leur monopole aux questions liées au droit
personnel et aux autres questions de nature religieuse (comme
l'observance du Sabbat) en prenant part à la Knesset. Il y a
aujourd'hui en Israël des disputes constantes entre les Juifs
orthodoxes et les Juifs séculiers quant à la part du
droit et de la tradition rabbiniques qui devrait être
incorporée aux lois de l'État. Même si, en cas
d'objections, la plupart des causes liées au statut
personnel relèvent uniquement des tribunaux rabbiniques,
dans certains cas, on a le droit d'en appeler devant le
système séculier (habituellement la cour
suprême). Dans le cas des divorces, par exemple, la pension
alimentaire fixée par un tribunal rabbinique peut être
modifiée par un tribunal civil.
Arrivée à
l'aéroport
Lorsque les immigrants de l'ancienne Union
soviétique arrivent à l'aéroport, on appose
dans leur passeport un timbre d'entrée. Ce timbre est la
preuve qu'ils sont citoyens d'Israël. Au cours des trois mois
suivants, les immigrants ont le droit d'annuler leur
citoyenneté israélienne et d'opter plutôt pour
le statut de résident permanent. Tous les immigrants font
l'objet d'une présélection dans une salle
prévue à cet effet à l'aéroport,
où les familles ou les personnes seules sont
interrogées par des représentants du ministère
de l'Intégration des immigrés. Ce dernier est un
ministère spécial qui s'occupe uniquement des
immigrants. Ses représentants demandent aux immigrants, par
exemple, l'endroit où ils veulent demeurer, s'ils ont des
parents ou des amis dans le pays, leur profession, etc. À
l'aéroport, les nouveaux olim reçoivent de l'argent
en espèces pour les aider à passer leurs
premières journées en Israël. La question de
l'accessibilité aux services ou celle de savoir si les
services à l'aéroport sont fournis en fonction des
affiliations religieuses ou nationales n'entre aucunement en ligne
de compte. Tous les nouveaux immigrants ayant un visa d'oleh sont
considérés comme des citoyens d'Israël et,
à cet égard, ils bénéficient de tous
les avantages de l'intégration qu'exige cette situation.
À cette étape, il est
déjà possible pour les nouveaux olim de
découvrir le pays. Toutefois, la plupart des nouveaux
immigrants savent très bien où ils veulent aller
lorsqu'ils arrivent en Israël puisqu'ils ont
déjà l'information que leurs parents résidant
en Israël leur ont fait parvenir dans l'ancienne Union
soviétique. Très peu d'immigrants arrivent sans avoir
d'abord obtenu de l'information avant de choisir l'aliya. Alors que
j'étais en train d'écrire mon livre, j'ai
personnellement vu plusieurs immigrants passer à travers
toute la procédure à l'aéroport, en sachant
exactement ce qu'ils voulaient et ce qu'ils ne voulaient pas faire.
Au moment de leur arrivée, les immigrants savent
déjà beaucoup de choses. Ils connaissent en gros
leurs droits. À l'aéroport, ils reçoivent de
l'information sur l'assurance-maladie si jamais certaines personnes
dont ils ont la charge sont malades. Selon leur destination, ils
peuvent bénéficier d'un moyen de transport.
Des représentants des kibboutzim se
trouvent à l'aéroport pour donner de l'information
sur les possibilités qu'offrent leurs collectivités.
Ces représentants s'intéressent principalement aux
jeunes. Même si la chose est rare, je connais des cas de
nouveaux immigrants qui ont été assidûment
courtisés par des colons qui leur ont promis un très
bel appartement, qu'ils ont effectivement obtenu. Le
problème est que ces immigrants ne savaient pas que
l'appartement se trouvait dans les territoires occupés.
La plus récente vague d'immigrants
est constituée de jeunes. J'ai constaté qu'un nombre
important d'entre eux n'avait qu'un lien ténu avec le
judaïsme. Cela peut s'expliquer par le fait qu'il était
difficile de parler de société juive en Union
soviétique. Les collectivités juives n'existaient pas
et l'identité juive se limitait aux familles; celles-ci
étaient souvent des familles mixtes. La situation actuelle
est différente de l'immigration antérieure vers
Israël, où il s'agissait de collectivités
juives.
La politique d'intégration actuelle
qui donne libre accès à l'ensemble du pays
s'écarte de la politique antérieure. Jusqu'à
tout récemment, la politique du gouvernement consistait
à offrir à tous les immigrants la possibilité
d'un stage initial dans un centre pour immigrants, dirigé
par le ministère de l'Intégration jusqu'à ce
que l'acclimatation soit faite; durant cette période, les
immigrants recevaient des conseils sur le logement et le travail,
et ils pouvaient étudier l'hébreu. (Dans les
années 1950 et 1960, les nouveaux immigrants étaient
emmenés directement de l'aéroport ou du port vers les
régions périphériques du pays et n'avaient
aucun choix quant à leur destination.) Aujourd'hui, le
système est celui de l'« intégration directe
» en vertu duquel l'immigrant est libre d'aller là
où il le désire dès son arrivée. Les
centres pour immigrants existent toujours pour les personnes qui
n'ont pas d'autre choix, mais très peu d'immigrants
choisissent d'y aller. Aujourd'hui, les nouveaux immigrants sont
informés des meilleures possibilités d'emploi dans
les villes prévues pour les immigrants dans les
régions moins habitées du pays, comme la
Galilée ou le Néguev. Toutefois, les nouveaux
immigrants préfèrent s'établir dans de plus
grandes agglomérations comme Tel-Aviv et Jérusalem.
Le problème est que le ministère du Logement a
concentré tous les logements publics pour immigrants dans
les régions les moins populeuses du Néguev et de la
Galilée. Cette contradiction pose problème, car elle
a créé un énorme marché de location de
logements pour les immigrants. Étant donné qu'il n'y
a pas de logements prévus pour eux à Tel-Aviv et que
les seuls logements disponibles sont en location, les loyers sont
très élevés alors que les logements fournis
par le gouvernement sont très abordables.
Problèmes d'intégration
Le principal problème auquel
devaient faire face les nouveaux immigrants était celui de
l'emploi, car leur niveau d'études était sans
précédent. Contrairement à l'immigration
massive des années passées qui provenait surtout des
pays arabes et était principalement constituée
d'artisans et de petits commerçants (qui devenait souvent
des manoeuvres), les immigrants de l'ancienne Union
soviétique étaient des professionnels hautement
qualifiés, particulièrement dans les secteurs du
génie, de l'architecture et de la médecine.
Étant donné qu'Israël avait déjà
la plus forte proportion médecins-patients au monde,
l'arrivée d'un grand nombre de médecins de l'ancienne
Union soviétique a eu comme conséquence que les
spécialistes, en particulier, ont dû accepter des
niveaux d'emploi plus bas. Dans l'ancienne Union soviétique,
la population active féminine était de même
calibre que celle des hommes. Par exemple, il y avait un grand
nombre d'ingénieurs féminins qualifiés.
Contrairement à l'ancienne Union soviétique où
la plupart des femmes travaillaient à l'extérieur du
foyer, en Israël environ le tiers seulement des femmes font
partie de la population active. En somme, le principal
problème de l'emploi était que la structure
professionnelle et les qualifications professionnelles
étaient différentes dans les deux pays.
Un problème connexe mais
différent était dû au fait que la
communauté juive de l'ancienne Union soviétique se
considérait là-bas comme l'élite
intellectuelle. À son arrivée en Israël, elle ne
pouvait plus maintenir cette image parce qu'elle n'avait pas les
moyens de rivaliser avec les intellectuels de langue
hébraïque. Cela a entraîné chez les
professionnels, autant masculins que féminins, un
problème de perception de soi et de statut
professionnel.
Un autre problème est «
l'identité juive » de ces nouveaux immigrants.
L'État d'Israël a été créé
à partir de petits noyaux d'immigrants d'Europe de l'Est
formant trois groupes particuliers. Le premier était celui
des pionniers socialistes, produit de la société
révolutionnaire russe; ils étaient surtout
séculiers. Le deuxième groupe était
composé d'une minorité juive très orthodoxe
qui se trouvait déjà en Palestine à
l'époque; son nombre s'est accru avec l'arrivée
d'autres Juifs orthodoxes d'Europe de l'Est. Ces derniers
étaient respectés par les autres Juifs parce qu'ils
gardaient vivante l'identité juive grâce à
leurs traditions et, à ce titre, ils occupaient une position
sociale importante. Même si ces deux groupes étaient
juifs, ils avaient chacun un objectif différent en ce qui
concerne le genre de société à bâtir en
Israël. Les pionniers socialistes voulaient bâtir un
état laïque, tandis que les orthodoxes voulaient
appliquer la loi juive. Lors de la création de l'État
juif, on en arriva à un compromis. L'existence de ces deux
forces politiques adverses est l'une des principales raisons pour
lesquelles Israël n'a pas de constitution — il est
impossible de réconcilier les deux tendances. Il y a un
certain nombre de contradictions entre le judaïsme rabbinique
et les principes égalitaires établis dans la
déclaration d'indépendance qui stipule qu'il ne doit
y avoir aucune discrimination basée sur la religion, la race
et le sexe. Ces principes égalitaires modernes viennent en
contradiction avec le code rabbinique établi il y a des
siècles. Il serait très singulier que le code
rabbinique des lois encore en vigueur dans le domaine du droit
personnel chez les Israéliens puisse répondre aux
exigences d'une société démocratique. Depuis
1948, ces deux tendances se manifestent sur la scène
politique israélienne. L'immigration en provenance de
l'ancienne Union soviétique a été accueillie
ouvertement par de nombreux dirigeants et intellectuels
israéliens comme le renforcement de l'aspect «
occidental » et laïc d'Israël.
L'arrivée des immigrants de
l'ancienne Union soviétique a exigé des solutions
spéciales en matière d'intégration sociale. De
façon encore plus importante, elle a exigé une
réévaluation de l'État sioniste, afin de
permettre une forme particulière d'acceptation des
étrangers qui n'étaient pas nécessairement des
sionistes, probablement pas non plus des Juifs au sens rabbinique
et pas davantage des Juifs dans quelque sens que ce soit si ce
n'est qu'ils ont été persécutés
à cause de leur ascendance juive. Voilà un
problème socio-politique complexe que personne n'avait
réellement prévu.
Dans l'ensemble, les immigrants de
l'ancienne Union soviétique ont réussi à
s'intégrer au sens économique du terme. La plupart
d'entre eux ont trouvé un emploi et les indices sont
à la baisse. Israël fournit un appui extraordinaire non
seulement en accordant une aide financière, mais en offrant
un éventail de services comme le logement,
l'éducation, etc. Les plus importants de tous sont
peut-être les programmes linguistiques parrainés par
l'État. S'ajoutent à cela un grand nombre
d'organismes bénévoles et semi-gouvernementaux qui
offrent appui et services. L'État d'Israël fait le
maximum d'efforts pour aider les nouveaux immigrants à leur
arrivée au pays. À ce que je sache, 14 p. 100 des
immigrants de l'ancienne Union soviétique étaient
considérés comme des personnes
défavorisées, comme les personnes âgées.
Cela a fait une forte pression sur les services sociaux
israéliens. Aujourd'hui, il y a en Israël un
système universel de santé qui donne à tous
les citoyens l'accès aux services.
Un autre point qui pose un problème
est l'analyse très différente du fait juif dans
l'ancienne Union soviétique et dans l'État
d'Israël. En Israël, l'identité juive est
déterminée principalement par la hiérarchie
rabbinique pour des motifs historiques et politiques. Toutes les
questions liées au droit personnel comme l'enregistrement de
la nationalité, la permission de se marier, les
procédures de divorce, la succession et l'enterrement ont
entraîné des problèmes pour les immigrants de
l'ancienne Union soviétique non considérés
comme juifs, mais qui étaient venus en Israël, aux
termes de la loi sur le retour, en tant que membres d'une famille
juive.
La loi sur le retour et l'immigration
actuelle
Il y a également ce que
j'appellerais le problème « historique et
psychologique ». La loi sur le retour qui régit
l'immigration en Israël découle de facteurs historiques
et politiques particuliers, dont le principal facteur est
l'Holocauste. La loi sur le retour a emprunté, consciemment
ou non, des dispositions des lois de Nuremberg de 1935 qui
considéraient comme Juive non seulement une personne
née d'une mère juive, mais également toute
personne ayant au moins un parent ou un grand-parent d'origine
juive. Les gens considérés comme « demi-juifs
» ont été pris au piège de ces lois
discriminatoires. Ainsi, toutes les personnes ayant de lointaines
origines juives ont été exterminées durant
l'Holocauste. D'une certaine façon, on peut établir
un parallèle étrange avec le problème actuel
de l'identité juive des nouveaux immigrants de l'ancienne
Union soviétique, dans le sens où les personnes qui
ont été pénalisées du fait de leurs
liens juifs à l'époque nazie s'en trouvent
aujourd'hui avantagées de par leur immigration en
Israël. Le lien entre les lois de Nuremberg et la loi sur le
retour est qu'une personne pénalisée pour avoir des
liens même éloignés avec les Juifs et la
communauté juive en tire maintenant profit.
Il s'agit là d'un
élément important qui aide à comprendre la loi
sur le retour. Cette dernière constitue une protection pour
tous ceux qui ont subi de mauvais traitements par le passé,
soit parce qu'ils étaient juifs, soit à cause de leur
affiliation avec des Juifs. En ce sens, la société
que les sionistes voulaient bâtir était une
société juive; il ne pouvait en être autrement
parce que les personnes qu'ils voulaient aider étaient des
Juifs. Ainsi, Israël devait devenir l'État des Juifs.
Cela a également permis au sionisme d'être
représenté et accepté par les Nations Unies
à un moment particulier de l'histoire où le nazisme
était encore bien présent à l'esprit de
tous.
La loi sur le retour est un document
très libéral. Quand elle dit que tout Juif peut
devenir citoyen d'Israël, elle pose aussi indirectement la
question de savoir qui est juif. Ce n'est pas quelqu'un qui a
nécessairement comme religion le judaïsme, pas plus
qu'une personne qui est nécessairement membre de la
communauté juive ou membre d'une organisation juive. C'est
simplement la personne qui est considérée comme juif
dans son pays d'origine ou qui a un certain lien avec une famille
juive, soit par le mariage, soit par la seconde ou la
troisième génération de son ascendance
(parents ou grands-parents).
Cette disposition de la loi ne posait pas
de problème jusqu'à l'arrivée des Juifs de
l'ancienne Union soviétique parce que personne ne semblait
avoir compris, malgré l'étendue des recherches sur la
communauté juive de l'Union soviétique,
jusqu'à quel point l'identité juive avait presque
disparue. Durant 70 ans, la communauté juive avait
vécu selon les règlements soviétiques,
lesquels ont eu un effet traumatisant sur la vie et
l'identité juives. Pendant 40 ans, les dirigeants
israéliens ont constamment exigé des lois plus
libérales en matière d'immigration afin de permettre
à la communauté juive d'Union soviétique
d'immigrer en Israël. Ils ont également tenu à
maximiser ce potentiel qui, selon eux, constitait plusieurs
millions d'immigrants. En fait, ils considéraient qu'il
s'agissait du principal « réservoir »
d'immigration de l'avenir. Cette idée est devenue en quelque
sorte un cliché politique en Israël, même si on
n'en saississait pas toutes les conséquences.
L'une des raisons qui expliquent la
difficulté de prévoir le problème de
l'identité juive de l'aliya actuel est l'immigration des
« refuseniks ». Avant la récente vague
d'immigration, 150 000 immigrants de l'ancienne Union
soviétique étaient arrivés en Israël
depuis le début des années 1970. La plupart de ces
immigrants avaient un engagement total envers leur identité
juive (bon nombre en provenance des républiques de l'Est
vivaient encore dans des collectivités) et avaient une
certaine idée du sionisme. Ils étaient dirigés
par les refuseniks juifs soviétiques qui s'étaient
battus pour avoir le droit d'émigrer de l'Union
soviétique. Ces Juifs s'identifiaient fortement à
Israël. Par conséquent, la question de
l'identité juive ne se posait pas quand il s'agissait de
leur intégration dans la société
israélienne. Au départ, personne n'avait très
bien compris que l'immigration d'un si grand nombre de personnes
poserait un problème. La communauté juive, au sens
traditionnel du terme, n'existait plus parce qu'il y avait eu des
mariages mixtes entre les gens. En outre, à cause du
départ d'un très grand nombre de sionistes qui
promouvaient l'éducation juive, le sentiment d'appartenance
à un groupe ou à une culture spécifique
n'existait pas, si ce n'est que les gens se sentaient victimes de
discrimination. En d'autres termes, vous étiez juif parce
que vous étiez victime de discrimination. La motivation de
ceux qui sont arrivés au cours des cinq dernières
années fait l'objet d'un débat entre sociologues.
Personne n'en est encore arrivé à une analyse
systématique. D'après mon expérience
personnelle, je pense que la raison principale qui motive les
immigrants actuels à choisir l'aliya est le désir de
fuir l'ancienne Union soviétique pour aller vers une
société qu'ils considèrent comme davantage
prospère, ayant moins de problèmes liés
à l'environnement et offrant de meilleures perspectives
économiques. La motivation sioniste chez ces nouveaux
immigrants est loin d'être aussi élevée qu'elle
l'était chez les « refuseniks ».
Les problèmes administratifs et
juridiques associés au fait de ne pas être juif selon
la définition rabbinique — personne née d'une
mère juive — revêtent une importance
énorme. Bon nombre d'immigrants ont eu le sentiment qu'ils
n'avaient pas été acceptés dans leur nouvelle
société. Ils ont fait face à des
problèmes (par exemple leur identité juive) qu'ils
n'avaient jamais envisagés en quittant l'ancienne Union
soviétique ou en vivant en Israël, et auxquels personne
ne les avait préparés. Mentionnons à ce titre
la question de l'inhumation. Jusqu'à tout récemment,
si une personne n'était pas inhumée par la
société d'enterrement juif, ou selon les rites
chrétiens ou musulmans, elle ne pouvait être
inhumée. En effet, jusqu'à une période
très récente, il n'existait aucune disposition
prévoyant une inhumation laïque. Beaucoup d'immigrants
de l'ancienne Union soviétique étaient
âgés et sont décédés en
Israël. Lorsque les responsables des inhumations religieuses
avaient fait enquête et consulté leurs documents, ils
ont refusé d'inhumer ces personnes sous prétexte
qu'elles n'étaient pas juives. Les familles ont alors
dû chercher un autre site d'inhumation et se sont finalement
tournées vers un kibboutz. Il y a eu un tollé
général face au problème soulevé par
quelques cas du genre. Des parties du territoire sont actuellement
réservées à l'inhumation laïque; c'est
là que les personnes qui ne répondent pas aux
critères d'inhumation religieuse des rites judaïques,
chrétiens ou islamiques peuvent être inhumées.
Ces cimetières laïcs sont également
destinés aux Juifs qui ne désirent pas être
inhumés selon les rites religieux.
Il y a également toute la question
des couples mixtes. Il est important de faire remarquer tout de
suite qu'en tant que citoyens d'Israël, les couples mixtes
n'ont pas de problèmes liés aux droits civils,
particulièrement avec les nouvelles lois fondamentales sur
la dignité humaine. Les problèmes peuvent surgir en
ce qui concerne leur statut personnel. En effet, la majorité
des couples mixtes sont jeunes et ont de jeunes enfants. Lorsque
dans ces couples la mère est juive, les enfants sont
considérés comme juifs et ainsi l'intégration
de la famille dans la société israélienne se
fait sans problème. Chez les couples mixtes où la
mère n'est pas juive, les enfants ne sont pas
considérés comme juifs et cela pourra engendrer des
problèmes lorsqu'ils atteindront l'âge adulte,
particulièrement s'ils désirent se marier avec un
Juif. La grande question des couples mixtes soulèvera un
problème de taille du fait qu'il y a beaucoup de couples
mixtes ayant choisi l'aliya parmi les immigrants de l'ancienne
Union soviétique. En supposant qu'environ 30 p. 100 des
immigrants ne sont pas juifs et que la plupart d'entre eux forment
des couples mixtes, il se pose alors un énorme
problème de statut personnel. Selon moi, d'ici à ce
que les enfants des couples mixtes de l'heure soient devenus
adultes, il est probable que des mariages civils seront
célébrés en Israël. La raison en sera
probablement l'énorme poids du nombre. L'une des solutions
possibles se trouve dans le droit juif. Il s'y trouve en effet une
disposition qui accepte le couple qui n'est pas marié selon
les rites religieux, mais qui est reconnu comme vivant en
association.
On a laissé entendre que
l'immigration actuelle de l'ancienne Union soviétique sera
la principale cause de la séparation entre la religion et
l'État en Israël, et qu'il en résultera une
reconnaissance des mariages laïcs, ce qui n'existe pas
actuellement. Il y a aujourd'hui en Israël un fort mouvement
qui veut se servir des problèmes que posent les nouveaux
immigrants de l'ancienne Union soviétique pour promouvoir la
séparation complète de l'État et de la
religion. Toutefois, certains des dirigeants des nouveaux
immigrants refusent carrément qu'on les mette à
contribution dans cette bataille. On ne sait pas dans quelle mesure
cette façon de voir est représentative de l'ensemble
des immigrants de l'ancienne Union soviétique.
Le conflit entre les valeurs de la
majorité des Israéliens et la vision plus
étroite de la minorité rabbinique entraînera
inévitablement des modifications des lois portant sur le
statut personnel en Israël.
1 Voir : Shepherd, Naomi, 1993. The
Russians in Israel, disponible au Centre des ressources, à
Ottawa. 2 Voir : Israel Affairs, hiver 1994, volume 1,
numéro 2. Naomi Shepherd « Ex-Soviet Jews in Israel :
Asset, Burden or Challenge? » Cet article est disponible au
Centre des ressources, à Ottawa.
General information on the social context of immigration [ISR21645.E] (Anfragebeantwortung, Englisch)