General information on the social context of immigration [ISR21645.E]

Ce qui suit présente, en traduction française, le contenu d'une entrevue avec l'auteure d'un ouvrage anecdotique sur l'immigration de citoyens de l'ancienne Union soviétique vers Israël1, de même que d'un article savant sur le même sujet qui a été publié dans Israel Affairs2. L'entrevue a eu lieu à Jérusalem, le 9 mai 1995.

Naomi Shepherd vit en Israël depuis 1957; elle a enseigné à l'université hébraïque de Jérusalem et a travaillé pendant de nombreuses années comme journaliste pour des journaux étrangers. Depuis 12 ans, elle effectue des recherches historiques. L'information recueillie lors de cette entrevue porte surtout sur l'histoire, car Mme Shepherd croit qu'il faut connaître l'histoire du Moyen-Orient si l'on veut comprendre la situation actuelle.

Historique

L'Empire ottoman répartissait ses sujets en collectivités confessionnelles. Les chrétiens et les Juifs constituaient des minorités puisqu'ils faisaient partie d'un empire musulman. Afin d'éviter autant que possible les frictions entre les musulmans et les minorités, ces dernières ont obtenu une très grande autonomie pour ce qui est des questions liées à leurs choix personnels (ex., mariage, divorce, héritage, inhumation, etc.). En d'autres termes, ils ont pu appliquer leurs croyances religieuses, ce qui, à une époque où la religion avait préséance sur tout, était très important. Il faut se rappeler qu'à cette époque le mariage civil était une notion tout à fait inconnue. Les groupes religieux ont obtenu le droit d'avoir leurs propres conseils religieux et de percevoir leurs propres impôts aux fins du culte. Ce système, appelé millet (ou millah) permettait de diriger de façon raisonnable les minorités religieuses.

Lorsque les Britanniques ont conquis l'Empire ottoman, ils ont conservé le système millet. Ce système était très commode pour eux car ils ne voulaient pas se mêler de ce genre de questions religieuses et théologiques très complexes. Les Britanniques considéraient que les Juifs orthodoxes étaient des gens paisibles dans la mesure où on ne bousculait pas leurs activités religieuses, surtout pour ce qui est des questions liées à leurs choix personnels et religieux.

Lorsqu'Israël est devenu un État en 1948, le système millet a également été conservé, mais à d'autres fins que la direction des groupes religieux. Les Juifs orthodoxes constituaient une force politique que les nouveaux dirigeants de l'État devaient reconnaître. Des partis politiques appuyés par les Juifs orthodoxes étaient nés en Europe de l'Est; ils se sont simplement réinstallés en Israël. Ils avaient pour but de négocier avec des partis politiques beaucoup plus importants qu'eux et de former des gouvernements de coalition, ce qu'ils réussissaient à faire. Cette situation leur a donné la possibilité de négocier le maintien de leurs lois religieuses. C'est ainsi qu'ils ont pu obtenir l'autonomie dans leurs affaires personnelles. Ces questions ont dû être réglées principalement par le ministère de l'Intérieur et le ministère des Affaires religieuses. Le ministère de l'Intérieur a toujours été le domaine des partis religieux et ce sont les fonctionnaires appartenant à ces derniers qui appliquent les critères rabbiniques pour délivrer les documents attestant la « nationalité » des citoyens. Cette définition particulière, qui est reprise sur toutes les cartes d'identité, indique l'affiliation du détenteur à une dénomination religieuse donnée (ex., « Juif », « musulman », etc.) - héritage du système millet - et n'a rien à voir avec le concept séculier de la « nationalité » tel qu'on l'entend en Occident. Pour les Juifs orthodoxes, est Juif celui qui est né d'une mère juive ou qui s'est converti au Judaïsme selon les critères orthodoxes, et qui n'est pas membre d'une autre religion. Ainsi, un immigrant de l'ancienne Union soviétique né d'un père juif ou ayant d'autres liens indirects avec une famille juive, mais qui ne s'est pas converti à la religion juive, sera inscrit à la rubrique « nationalité » comme « Russe », « Ukrainien », « Estonien », etc. Cet immigrant bénéficiera cependant de la citoyenneté israélienne complète en vertu de la loi sur le retour. Il apparaît donc clairement qu'il y a discordance entre le monopole juif orthodoxe, ou rabbinique, quant aux questions liées au choix personnel, et la loi sur le retour dont les dispositions tiennent compte de la réalité moderne et laïque.

Le parti le plus orthodoxe, l'Agudat Israël, exerce une grande autorité sur les citoyens de Jérusalem, qui est au centre du pouvoir politique en Israël. Aujourd'hui, le parti Shas, composé de Juifs orthodoxes du nord de l'Afrique, a également une grande influence. Même s'il y a divergence d'opinion entre les Juifs orthodoxes du nord de l'Afrique et ceux d'Europe de l'Est, tous reconnaissent la nécessité d'incorporer les lois religieuses inscrites dans le Talmud au système juridique de l'État. C'est ce qui s'est produit. Ainsi, le droit personnel comprend l'inscription des questions liées au statut personnel des citoyens, y compris les nouveaux immigrants. Il est intéressant de noter que, lorsqu'on étudie les jugements d'un organisme séculier comme la cour suprême d'Israël, il y a presque toujours un juge qui, dans le cas de questions autres que celles liées au statut personnel, cite des précédents tirés du droit biblique et des principes du Talmud, même si seul le droit personnel relève directement de la compétence des tribunaux rabbiniques. Les partis religieux essaient d'élargir leur monopole aux questions liées au droit personnel et aux autres questions de nature religieuse (comme l'observance du Sabbat) en prenant part à la Knesset. Il y a aujourd'hui en Israël des disputes constantes entre les Juifs orthodoxes et les Juifs séculiers quant à la part du droit et de la tradition rabbiniques qui devrait être incorporée aux lois de l'État. Même si, en cas d'objections, la plupart des causes liées au statut personnel relèvent uniquement des tribunaux rabbiniques, dans certains cas, on a le droit d'en appeler devant le système séculier (habituellement la cour suprême). Dans le cas des divorces, par exemple, la pension alimentaire fixée par un tribunal rabbinique peut être modifiée par un tribunal civil.

Arrivée à l'aéroport

Lorsque les immigrants de l'ancienne Union soviétique arrivent à l'aéroport, on appose dans leur passeport un timbre d'entrée. Ce timbre est la preuve qu'ils sont citoyens d'Israël. Au cours des trois mois suivants, les immigrants ont le droit d'annuler leur citoyenneté israélienne et d'opter plutôt pour le statut de résident permanent. Tous les immigrants font l'objet d'une présélection dans une salle prévue à cet effet à l'aéroport, où les familles ou les personnes seules sont interrogées par des représentants du ministère de l'Intégration des immigrés. Ce dernier est un ministère spécial qui s'occupe uniquement des immigrants. Ses représentants demandent aux immigrants, par exemple, l'endroit où ils veulent demeurer, s'ils ont des parents ou des amis dans le pays, leur profession, etc. À l'aéroport, les nouveaux olim reçoivent de l'argent en espèces pour les aider à passer leurs premières journées en Israël. La question de l'accessibilité aux services ou celle de savoir si les services à l'aéroport sont fournis en fonction des affiliations religieuses ou nationales n'entre aucunement en ligne de compte. Tous les nouveaux immigrants ayant un visa d'oleh sont considérés comme des citoyens d'Israël et, à cet égard, ils bénéficient de tous les avantages de l'intégration qu'exige cette situation.

À cette étape, il est déjà possible pour les nouveaux olim de découvrir le pays. Toutefois, la plupart des nouveaux immigrants savent très bien où ils veulent aller lorsqu'ils arrivent en Israël puisqu'ils ont déjà l'information que leurs parents résidant en Israël leur ont fait parvenir dans l'ancienne Union soviétique. Très peu d'immigrants arrivent sans avoir d'abord obtenu de l'information avant de choisir l'aliya. Alors que j'étais en train d'écrire mon livre, j'ai personnellement vu plusieurs immigrants passer à travers toute la procédure à l'aéroport, en sachant exactement ce qu'ils voulaient et ce qu'ils ne voulaient pas faire. Au moment de leur arrivée, les immigrants savent déjà beaucoup de choses. Ils connaissent en gros leurs droits. À l'aéroport, ils reçoivent de l'information sur l'assurance-maladie si jamais certaines personnes dont ils ont la charge sont malades. Selon leur destination, ils peuvent bénéficier d'un moyen de transport.

Des représentants des kibboutzim se trouvent à l'aéroport pour donner de l'information sur les possibilités qu'offrent leurs collectivités. Ces représentants s'intéressent principalement aux jeunes. Même si la chose est rare, je connais des cas de nouveaux immigrants qui ont été assidûment courtisés par des colons qui leur ont promis un très bel appartement, qu'ils ont effectivement obtenu. Le problème est que ces immigrants ne savaient pas que l'appartement se trouvait dans les territoires occupés.

La plus récente vague d'immigrants est constituée de jeunes. J'ai constaté qu'un nombre important d'entre eux n'avait qu'un lien ténu avec le judaïsme. Cela peut s'expliquer par le fait qu'il était difficile de parler de société juive en Union soviétique. Les collectivités juives n'existaient pas et l'identité juive se limitait aux familles; celles-ci étaient souvent des familles mixtes. La situation actuelle est différente de l'immigration antérieure vers Israël, où il s'agissait de collectivités juives.

La politique d'intégration actuelle qui donne libre accès à l'ensemble du pays s'écarte de la politique antérieure. Jusqu'à tout récemment, la politique du gouvernement consistait à offrir à tous les immigrants la possibilité d'un stage initial dans un centre pour immigrants, dirigé par le ministère de l'Intégration jusqu'à ce que l'acclimatation soit faite; durant cette période, les immigrants recevaient des conseils sur le logement et le travail, et ils pouvaient étudier l'hébreu. (Dans les années 1950 et 1960, les nouveaux immigrants étaient emmenés directement de l'aéroport ou du port vers les régions périphériques du pays et n'avaient aucun choix quant à leur destination.) Aujourd'hui, le système est celui de l'« intégration directe » en vertu duquel l'immigrant est libre d'aller là où il le désire dès son arrivée. Les centres pour immigrants existent toujours pour les personnes qui n'ont pas d'autre choix, mais très peu d'immigrants choisissent d'y aller. Aujourd'hui, les nouveaux immigrants sont informés des meilleures possibilités d'emploi dans les villes prévues pour les immigrants dans les régions moins habitées du pays, comme la Galilée ou le Néguev. Toutefois, les nouveaux immigrants préfèrent s'établir dans de plus grandes agglomérations comme Tel-Aviv et Jérusalem. Le problème est que le ministère du Logement a concentré tous les logements publics pour immigrants dans les régions les moins populeuses du Néguev et de la Galilée. Cette contradiction pose problème, car elle a créé un énorme marché de location de logements pour les immigrants. Étant donné qu'il n'y a pas de logements prévus pour eux à Tel-Aviv et que les seuls logements disponibles sont en location, les loyers sont très élevés alors que les logements fournis par le gouvernement sont très abordables.

Problèmes d'intégration

Le principal problème auquel devaient faire face les nouveaux immigrants était celui de l'emploi, car leur niveau d'études était sans précédent. Contrairement à l'immigration massive des années passées qui provenait surtout des pays arabes et était principalement constituée d'artisans et de petits commerçants (qui devenait souvent des manoeuvres), les immigrants de l'ancienne Union soviétique étaient des professionnels hautement qualifiés, particulièrement dans les secteurs du génie, de l'architecture et de la médecine. Étant donné qu'Israël avait déjà la plus forte proportion médecins-patients au monde, l'arrivée d'un grand nombre de médecins de l'ancienne Union soviétique a eu comme conséquence que les spécialistes, en particulier, ont dû accepter des niveaux d'emploi plus bas. Dans l'ancienne Union soviétique, la population active féminine était de même calibre que celle des hommes. Par exemple, il y avait un grand nombre d'ingénieurs féminins qualifiés. Contrairement à l'ancienne Union soviétique où la plupart des femmes travaillaient à l'extérieur du foyer, en Israël environ le tiers seulement des femmes font partie de la population active. En somme, le principal problème de l'emploi était que la structure professionnelle et les qualifications professionnelles étaient différentes dans les deux pays.

Un problème connexe mais différent était dû au fait que la communauté juive de l'ancienne Union soviétique se considérait là-bas comme l'élite intellectuelle. À son arrivée en Israël, elle ne pouvait plus maintenir cette image parce qu'elle n'avait pas les moyens de rivaliser avec les intellectuels de langue hébraïque. Cela a entraîné chez les professionnels, autant masculins que féminins, un problème de perception de soi et de statut professionnel.

Un autre problème est « l'identité juive » de ces nouveaux immigrants. L'État d'Israël a été créé à partir de petits noyaux d'immigrants d'Europe de l'Est formant trois groupes particuliers. Le premier était celui des pionniers socialistes, produit de la société révolutionnaire russe; ils étaient surtout séculiers. Le deuxième groupe était composé d'une minorité juive très orthodoxe qui se trouvait déjà en Palestine à l'époque; son nombre s'est accru avec l'arrivée d'autres Juifs orthodoxes d'Europe de l'Est. Ces derniers étaient respectés par les autres Juifs parce qu'ils gardaient vivante l'identité juive grâce à leurs traditions et, à ce titre, ils occupaient une position sociale importante. Même si ces deux groupes étaient juifs, ils avaient chacun un objectif différent en ce qui concerne le genre de société à bâtir en Israël. Les pionniers socialistes voulaient bâtir un état laïque, tandis que les orthodoxes voulaient appliquer la loi juive. Lors de la création de l'État juif, on en arriva à un compromis. L'existence de ces deux forces politiques adverses est l'une des principales raisons pour lesquelles Israël n'a pas de constitution — il est impossible de réconcilier les deux tendances. Il y a un certain nombre de contradictions entre le judaïsme rabbinique et les principes égalitaires établis dans la déclaration d'indépendance qui stipule qu'il ne doit y avoir aucune discrimination basée sur la religion, la race et le sexe. Ces principes égalitaires modernes viennent en contradiction avec le code rabbinique établi il y a des siècles. Il serait très singulier que le code rabbinique des lois encore en vigueur dans le domaine du droit personnel chez les Israéliens puisse répondre aux exigences d'une société démocratique. Depuis 1948, ces deux tendances se manifestent sur la scène politique israélienne. L'immigration en provenance de l'ancienne Union soviétique a été accueillie ouvertement par de nombreux dirigeants et intellectuels israéliens comme le renforcement de l'aspect « occidental » et laïc d'Israël.

L'arrivée des immigrants de l'ancienne Union soviétique a exigé des solutions spéciales en matière d'intégration sociale. De façon encore plus importante, elle a exigé une réévaluation de l'État sioniste, afin de permettre une forme particulière d'acceptation des étrangers qui n'étaient pas nécessairement des sionistes, probablement pas non plus des Juifs au sens rabbinique et pas davantage des Juifs dans quelque sens que ce soit si ce n'est qu'ils ont été persécutés à cause de leur ascendance juive. Voilà un problème socio-politique complexe que personne n'avait réellement prévu.

Dans l'ensemble, les immigrants de l'ancienne Union soviétique ont réussi à s'intégrer au sens économique du terme. La plupart d'entre eux ont trouvé un emploi et les indices sont à la baisse. Israël fournit un appui extraordinaire non seulement en accordant une aide financière, mais en offrant un éventail de services comme le logement, l'éducation, etc. Les plus importants de tous sont peut-être les programmes linguistiques parrainés par l'État. S'ajoutent à cela un grand nombre d'organismes bénévoles et semi-gouvernementaux qui offrent appui et services. L'État d'Israël fait le maximum d'efforts pour aider les nouveaux immigrants à leur arrivée au pays. À ce que je sache, 14 p. 100 des immigrants de l'ancienne Union soviétique étaient considérés comme des personnes défavorisées, comme les personnes âgées. Cela a fait une forte pression sur les services sociaux israéliens. Aujourd'hui, il y a en Israël un système universel de santé qui donne à tous les citoyens l'accès aux services.

Un autre point qui pose un problème est l'analyse très différente du fait juif dans l'ancienne Union soviétique et dans l'État d'Israël. En Israël, l'identité juive est déterminée principalement par la hiérarchie rabbinique pour des motifs historiques et politiques. Toutes les questions liées au droit personnel comme l'enregistrement de la nationalité, la permission de se marier, les procédures de divorce, la succession et l'enterrement ont entraîné des problèmes pour les immigrants de l'ancienne Union soviétique non considérés comme juifs, mais qui étaient venus en Israël, aux termes de la loi sur le retour, en tant que membres d'une famille juive.

La loi sur le retour et l'immigration actuelle

Il y a également ce que j'appellerais le problème « historique et psychologique ». La loi sur le retour qui régit l'immigration en Israël découle de facteurs historiques et politiques particuliers, dont le principal facteur est l'Holocauste. La loi sur le retour a emprunté, consciemment ou non, des dispositions des lois de Nuremberg de 1935 qui considéraient comme Juive non seulement une personne née d'une mère juive, mais également toute personne ayant au moins un parent ou un grand-parent d'origine juive. Les gens considérés comme « demi-juifs » ont été pris au piège de ces lois discriminatoires. Ainsi, toutes les personnes ayant de lointaines origines juives ont été exterminées durant l'Holocauste. D'une certaine façon, on peut établir un parallèle étrange avec le problème actuel de l'identité juive des nouveaux immigrants de l'ancienne Union soviétique, dans le sens où les personnes qui ont été pénalisées du fait de leurs liens juifs à l'époque nazie s'en trouvent aujourd'hui avantagées de par leur immigration en Israël. Le lien entre les lois de Nuremberg et la loi sur le retour est qu'une personne pénalisée pour avoir des liens même éloignés avec les Juifs et la communauté juive en tire maintenant profit.

Il s'agit là d'un élément important qui aide à comprendre la loi sur le retour. Cette dernière constitue une protection pour tous ceux qui ont subi de mauvais traitements par le passé, soit parce qu'ils étaient juifs, soit à cause de leur affiliation avec des Juifs. En ce sens, la société que les sionistes voulaient bâtir était une société juive; il ne pouvait en être autrement parce que les personnes qu'ils voulaient aider étaient des Juifs. Ainsi, Israël devait devenir l'État des Juifs. Cela a également permis au sionisme d'être représenté et accepté par les Nations Unies à un moment particulier de l'histoire où le nazisme était encore bien présent à l'esprit de tous.

La loi sur le retour est un document très libéral. Quand elle dit que tout Juif peut devenir citoyen d'Israël, elle pose aussi indirectement la question de savoir qui est juif. Ce n'est pas quelqu'un qui a nécessairement comme religion le judaïsme, pas plus qu'une personne qui est nécessairement membre de la communauté juive ou membre d'une organisation juive. C'est simplement la personne qui est considérée comme juif dans son pays d'origine ou qui a un certain lien avec une famille juive, soit par le mariage, soit par la seconde ou la troisième génération de son ascendance (parents ou grands-parents).

Cette disposition de la loi ne posait pas de problème jusqu'à l'arrivée des Juifs de l'ancienne Union soviétique parce que personne ne semblait avoir compris, malgré l'étendue des recherches sur la communauté juive de l'Union soviétique, jusqu'à quel point l'identité juive avait presque disparue. Durant 70 ans, la communauté juive avait vécu selon les règlements soviétiques, lesquels ont eu un effet traumatisant sur la vie et l'identité juives. Pendant 40 ans, les dirigeants israéliens ont constamment exigé des lois plus libérales en matière d'immigration afin de permettre à la communauté juive d'Union soviétique d'immigrer en Israël. Ils ont également tenu à maximiser ce potentiel qui, selon eux, constitait plusieurs millions d'immigrants. En fait, ils considéraient qu'il s'agissait du principal « réservoir » d'immigration de l'avenir. Cette idée est devenue en quelque sorte un cliché politique en Israël, même si on n'en saississait pas toutes les conséquences.

L'une des raisons qui expliquent la difficulté de prévoir le problème de l'identité juive de l'aliya actuel est l'immigration des « refuseniks ». Avant la récente vague d'immigration, 150 000 immigrants de l'ancienne Union soviétique étaient arrivés en Israël depuis le début des années 1970. La plupart de ces immigrants avaient un engagement total envers leur identité juive (bon nombre en provenance des républiques de l'Est vivaient encore dans des collectivités) et avaient une certaine idée du sionisme. Ils étaient dirigés par les refuseniks juifs soviétiques qui s'étaient battus pour avoir le droit d'émigrer de l'Union soviétique. Ces Juifs s'identifiaient fortement à Israël. Par conséquent, la question de l'identité juive ne se posait pas quand il s'agissait de leur intégration dans la société israélienne. Au départ, personne n'avait très bien compris que l'immigration d'un si grand nombre de personnes poserait un problème. La communauté juive, au sens traditionnel du terme, n'existait plus parce qu'il y avait eu des mariages mixtes entre les gens. En outre, à cause du départ d'un très grand nombre de sionistes qui promouvaient l'éducation juive, le sentiment d'appartenance à un groupe ou à une culture spécifique n'existait pas, si ce n'est que les gens se sentaient victimes de discrimination. En d'autres termes, vous étiez juif parce que vous étiez victime de discrimination. La motivation de ceux qui sont arrivés au cours des cinq dernières années fait l'objet d'un débat entre sociologues. Personne n'en est encore arrivé à une analyse systématique. D'après mon expérience personnelle, je pense que la raison principale qui motive les immigrants actuels à choisir l'aliya est le désir de fuir l'ancienne Union soviétique pour aller vers une société qu'ils considèrent comme davantage prospère, ayant moins de problèmes liés à l'environnement et offrant de meilleures perspectives économiques. La motivation sioniste chez ces nouveaux immigrants est loin d'être aussi élevée qu'elle l'était chez les « refuseniks ».

Les problèmes administratifs et juridiques associés au fait de ne pas être juif selon la définition rabbinique — personne née d'une mère juive — revêtent une importance énorme. Bon nombre d'immigrants ont eu le sentiment qu'ils n'avaient pas été acceptés dans leur nouvelle société. Ils ont fait face à des problèmes (par exemple leur identité juive) qu'ils n'avaient jamais envisagés en quittant l'ancienne Union soviétique ou en vivant en Israël, et auxquels personne ne les avait préparés. Mentionnons à ce titre la question de l'inhumation. Jusqu'à tout récemment, si une personne n'était pas inhumée par la société d'enterrement juif, ou selon les rites chrétiens ou musulmans, elle ne pouvait être inhumée. En effet, jusqu'à une période très récente, il n'existait aucune disposition prévoyant une inhumation laïque. Beaucoup d'immigrants de l'ancienne Union soviétique étaient âgés et sont décédés en Israël. Lorsque les responsables des inhumations religieuses avaient fait enquête et consulté leurs documents, ils ont refusé d'inhumer ces personnes sous prétexte qu'elles n'étaient pas juives. Les familles ont alors dû chercher un autre site d'inhumation et se sont finalement tournées vers un kibboutz. Il y a eu un tollé général face au problème soulevé par quelques cas du genre. Des parties du territoire sont actuellement réservées à l'inhumation laïque; c'est là que les personnes qui ne répondent pas aux critères d'inhumation religieuse des rites judaïques, chrétiens ou islamiques peuvent être inhumées. Ces cimetières laïcs sont également destinés aux Juifs qui ne désirent pas être inhumés selon les rites religieux.

Il y a également toute la question des couples mixtes. Il est important de faire remarquer tout de suite qu'en tant que citoyens d'Israël, les couples mixtes n'ont pas de problèmes liés aux droits civils, particulièrement avec les nouvelles lois fondamentales sur la dignité humaine. Les problèmes peuvent surgir en ce qui concerne leur statut personnel. En effet, la majorité des couples mixtes sont jeunes et ont de jeunes enfants. Lorsque dans ces couples la mère est juive, les enfants sont considérés comme juifs et ainsi l'intégration de la famille dans la société israélienne se fait sans problème. Chez les couples mixtes où la mère n'est pas juive, les enfants ne sont pas considérés comme juifs et cela pourra engendrer des problèmes lorsqu'ils atteindront l'âge adulte, particulièrement s'ils désirent se marier avec un Juif. La grande question des couples mixtes soulèvera un problème de taille du fait qu'il y a beaucoup de couples mixtes ayant choisi l'aliya parmi les immigrants de l'ancienne Union soviétique. En supposant qu'environ 30 p. 100 des immigrants ne sont pas juifs et que la plupart d'entre eux forment des couples mixtes, il se pose alors un énorme problème de statut personnel. Selon moi, d'ici à ce que les enfants des couples mixtes de l'heure soient devenus adultes, il est probable que des mariages civils seront célébrés en Israël. La raison en sera probablement l'énorme poids du nombre. L'une des solutions possibles se trouve dans le droit juif. Il s'y trouve en effet une disposition qui accepte le couple qui n'est pas marié selon les rites religieux, mais qui est reconnu comme vivant en association.

On a laissé entendre que l'immigration actuelle de l'ancienne Union soviétique sera la principale cause de la séparation entre la religion et l'État en Israël, et qu'il en résultera une reconnaissance des mariages laïcs, ce qui n'existe pas actuellement. Il y a aujourd'hui en Israël un fort mouvement qui veut se servir des problèmes que posent les nouveaux immigrants de l'ancienne Union soviétique pour promouvoir la séparation complète de l'État et de la religion. Toutefois, certains des dirigeants des nouveaux immigrants refusent carrément qu'on les mette à contribution dans cette bataille. On ne sait pas dans quelle mesure cette façon de voir est représentative de l'ensemble des immigrants de l'ancienne Union soviétique.

Le conflit entre les valeurs de la majorité des Israéliens et la vision plus étroite de la minorité rabbinique entraînera inévitablement des modifications des lois portant sur le statut personnel en Israël.

1 Voir : Shepherd, Naomi, 1993. The Russians in Israel, disponible au Centre des ressources, à Ottawa. 2 Voir : Israel Affairs, hiver 1994, volume 1, numéro 2. Naomi Shepherd « Ex-Soviet Jews in Israel : Asset, Burden or Challenge? » Cet article est disponible au Centre des ressources, à Ottawa.

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