Maroc : Une activiste condamnée pour blasphème devrait être disculpée et libérée

 

Ibtissame Lachgar a été condamnée à 30 mois en prison et à une forte amende pour avoir porté un tee-shirt jugé offensant

(Beyrouth) – Les autorités marocaines devraient annuler d’urgence la peine de 30 mois de prison prononcée à l’encontre d’une activiste reconnue coupable de blasphème, après avoir porté un tee-shirt considéré comme offensant. Les autorités devraient garantir le respect du droit à la liberté d’expression.

Cette activiste, Ibtissame Lachgar, a été arrêtée le 10 août, puis inculpée d’« atteinte à l’islam » par le Tribunal de première instance de Rabat, après avoir publié sur les médias sociaux une photographie où elle porte un tee-shirt arborant les mots « Allah est lesbienne ». Le tribunal a jugé qu’elle avait violé le Code pénal marocain et, le 3 septembre, l’a condamnée à 30 mois de prison et à une amende de 50 000 dirhams marocains (environ 5 500 USD). L’équipe d’avocats qui la défend a annoncé qu’elle se pourvoirait en appel. Ibtissam Lachgar demeure à ce jour en détention.

« Condamner une activiste à plus de deux ans de prison simplement pour avoir publié une photo sur les médias sociaux est un coup dur porté à la liberté d’expression au Maroc », a déclaré Hanan Salah, directrice adjointe de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Les autorités devraient abolir cette législation draconienne, au lieu de l’instrumentaliser en violant le droit à la liberté d’expression. »

Ibtissame Lachgar, psychologue clinicienne, est aussi une activiste connue qui a cofondé le Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (MALI). Selon les médias, ses avocats avaient demandé aux autorités de mettre fin à sa détention provisoire et de la libérer pour raisons médicales, car son état de santé exige des traitements continus ; le tribunal de Rabat a toutefois rejeté cette demande.

Les procureurs marocains disposent d’une panoplie de législations répressives leur permettant de punir des personnes ayant exprimé des critiques de manière non violente. Ils emploient notamment des lois dures et de vaste portée en matière de terrorisme, de cybercriminalité, d’apostasie et de diffamation criminelle, pour envoyer en prison des défenseurs des droits humains, des activistes et des blogueurs. En 2022, un tribunal marocain a ainsi condamné à deux ans de prison une blogueuse, Fatima Karim, inculpée d’insulte publique à l’islam à cause des publications de sa page Facebook.

En vertu de l’article 267.5 du Code pénal marocain, une personne reconnue coupable d’« atteinte » à l’islam risque six mois à deux ans de prison et une amende de 20 000 à 200 000 dirhams (environ 2 200 à 22 000 USD). Le châtiment peut être porté à deux à cinq ans et une amende de 50 000 à 500 000 DHM (environ 5 500 à 55 000 USD) si l’infraction présumée est commise à travers les médias imprimés, audiovisuels ou électroniques.

En outre, le Code de la presse marocain prévoit aussi des amendes et une suspension judiciaire pour les publications et les médias électroniques reconnus coupables d’« atteinte » à l’islam (article 70).

Les autorités marocaines devraient décriminaliser les lois qui sont utilisées pour violer la liberté d’expression, y compris celles qui criminalisent l’« insulte à la religion » et le « blasphème », a déclaré Human Rights Watch. Le Parlement marocain devrait réviser le Code pénal et le Code de la presse, afin d’en retirer les délits qui sont liés à des formes d’expression non violentes, et dont l’inclusion dans ces textes bafoue l’obligation du Maroc de respecter la liberté d’expression.

Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par le Maroc en 1979, impose que « nul ne peut être inquiété pour ses opinions » et que « toute personne a droit à la liberté d’expression ». Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, l’organe expert chargé d’interpréter le Pacte et d’évaluer le degré de respect de ce texte par les États, a déterminé que, excepté dans des circonstances très restreintes, « les interdictions des manifestations de manque de respect à l’égard d’une religion ou d’un autre système de croyance, y compris les lois sur le blasphème, sont incompatibles avec le Pacte ».

« La dépénalisation de l’expression pacifique d’opinions, notamment en révisant les lois sur le blasphème et sur l’insulte à la religion, devrait être une priorité pour les législateurs marocains », a conclu Hanan Salah.

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