(Jérusalem, le 1er novembre 2023) – Les bombardements, le blocus et l’offensive terrestre de grande ampleur lancés par le gouvernement israélien à Gaza ont un impact dévastateur sur les civils palestiniens handicapés, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Ces personnes sont confrontées à des difficultés croissantes pour fuir les attaques, et accéder aux articles de première nécessité ainsi qu’à l’aide humanitaire dont elles ont désespérément besoin.
Les graves risques auxquels tous les civils de Gaza sont exposés à cause des opérations militaires israéliennes sont encore plus élevés pour les personnes handicapées. L’ordre d’évacuation donné par Israël le 13 octobre 2023 à tous les civils du nord de la bande de Gaza pour qu’ils se rendent dans le sud du territoire n’a pas pris en compte les besoins des personnes handicapées, dont beaucoup ne peuvent pas partir. Tout en les exposant aux dangers de la guerre, cette exigence d’Israël ne garantissait pas qu’ils bénéficieraient d’un logement convenable et de conditions satisfaisantes une fois déplacés.
« L’offensive terrestre d’envergure lancée par l’armée israélienne à Gaza alourdit considérablement les graves difficultés déjà rencontrées par les personnes handicapées pour fuir, trouver un abri et obtenir de l’eau, des vivres, des médicaments et des équipements en état de marche dont elles ont désespérément besoin », a déclaré Emina Ćerimović, chercheuse senior auprès de la division Droits des personnes handicapées, au sein de Human Rights Watch. « Les États-Unis et les autres alliés d’Israël devraient faire pression sur ce pays pour que toutes les mesures nécessaires soient prises afin de protéger les personnes handicapées et lever le blocus. »
Entre le 18 et le 29 octobre, Human Rights Watch a mené des entretiens téléphoniques avec 13 personnes handicapées à Gaza, dont 10 disent avoir été déplacées à l’intérieur du territoire, deux membres de familles de personnes handicapées et une psychologue.
Celles et ceux qui ont pu être évacués ont décrit la peur de devoir quitter leurs domiciles, aménagés pour répondre à leurs besoins spécifiques d’accessibilité et d’adaptabilité, ainsi que leurs équipements fonctionnels, tels que les fauteuils roulants, déambulateurs et es appareils auditifs. Ces personnes ont également fait part de leurs inquiétudes quant au fait de ne pas avoir accès aux médicaments essentiels et aux conséquences que cette situation a sur leur santé mentale. Avec des centaines de milliers d’autres, elles ont été contraintes de se réfugier dans des abris d’urgence surpeuplés, principalement des établissements de santé et des écoles, sans accès suffisant à l’eau, à la nourriture et à l’assainissement.
Le manque général d’équipements en état de marche à Gaza, comme les fauteuils roulants, les prothèses, les béquilles et les appareils auditifs, conséquence principalement des restrictions liées à la fermeture illégale de Gaza par Israël depuis 16 ans, affecte également la capacité de la population à fuir. Les personnes ayant une déficience visuelle, auditive, développementale ou intellectuelle peuvent ne pas entendre, savoir ou comprendre ce qui se passe autour d’eux.
Plusieurs personnes handicapées ont déclaré que le manque d’électricité et les coupures d’Internet ont compliqué l’accès à des informations cruciales qui les auraient aidées à décider où, quand et comment fuir pour plus de sécurité.
Les bombardements et l’offensive terrestre des forces israéliennes en cours à Gaza ont débuté à la suite de l’attaque perpétrée le 7 octobre en Israël par le Hamas, lors de laquelle environ 1 400 personnes – dont des centaines de civils – ont été tuées, comme l’ont indiqué les autorités israéliennes. Le Hamas et le Jihad islamique ont pris en otage plus de 230 personnes, dont des enfants, des personnes handicapées et des personnes âgées.
Les coupures d’électricité et d’eau à Gaza par Israël, qui bloque l’entrée du carburant, de vivres et de presque toute l’aide humanitaire, y compris des médicaments, équivaut à une punition collective et constitue un crime de guerre. Le ministère palestinien de la Santé à Gaza a indiqué que, depuis le début des bombardements israéliens sur Gaza, au moins 8 500 personnes avaient été tuées entre le 7 et le 31 octobre, dont plus de 3 500 enfants. Le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) estime à plus de 1,4 millions le nombre de personnes déplacées dans le territoire.
Les personnes handicapées ayant déclaré avoir été déplacées par les hostilités ont décrit les difficultés rencontrées pour fuir les attaques, notamment en l’absence d’avertissement préalable, ainsi que les innombrables démolitions au milieu desquelles elles doivent se frayer un chemin et leur crainte des affrontements.
Samih Al Masri, un homme âgé de 50 ans qui a déclaré avoir perdu ses deux jambes lors d’une frappe de drone israélien en 2008, a indiqué qu’il compte se réfugier à l’hôpital al-Quds, dans la ville de Gaza, mais qu’il ne se sentait en sécurité nulle part : « S’ils bombardent l’hôpital, je suis mort. Je sais que je ne peux pas bouger. »
Plusieurs personnes handicapées ont déclaré avoir perdu leurs équipements fonctionnels lorsque les frappes israéliennes ont détruit ou endommagé leurs foyers, les laissant sans abri et incapables de se procurer les articles de première nécessité. Tous ont déclaré que l’armée israélienne n’avait pas donné d’avertissement préalable. Selon le ministère palestinien du Logement à Gaza, au moins 45% des maisons à Gaza ont été détruites ou endommagées pendant les hostilités.
Le droit international humanitaire et le droit international des droits humains garantissent les droits des personnes handicapées en situation de conflit armé. La Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (CRPD), ratifiée par Israël en 2012, stipule que les États membres, conformément à leurs obligations en vertu du droit international humanitaire, doivent prendre « toutes mesures nécessaires pour assurer la protection et la sûreté des personnes handicapées dans les situations de risque, y compris les conflits armés ».
La résolution 2475 (2019) du Conseil de sécurité de l’ONU exhorte, entre autres, toutes les parties à un conflit armé à prendre des mesures en vue de protéger les civils handicapés ; permettre et faciliter un accès humanitaire sûr, rapide et sans entrave à toutes les personnes en ayant besoin ; et soutenir la fourniture, en temps opportun, d’une assistance durable, adéquate, inclusive et accessible aux civils handicapés.
En vertu du droit international humanitaire, les parties belligérantes doivent prendre toutes les précautions possibles pour minimiser les dommages causés aux civils, notamment en annonçant efficacement à l’avance les attaques, sauf si les circonstances ne le permettaient pas. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) a noté en 2015 que « le fait de ne pas respecter cette obligation selon des modalités accessibles et inclusives constitue une discrimination fondée sur le handicap. »
Quatre-vingt-trois pays, dont les États-Unis, se sont engagés à s’abstenir de recourir à des armes explosives à « effets de zone étendue » – y compris l’artillerie lourde et les bombes aériennes – dans les zones densément peuplées, en raison de leur risque de tuer et de blesser des civils sans discernement. Les bombardements continus d’Israël sur Gaza, qui ont réduit en cendres des pâtés de maisons et de vastes portions de quartiers, amplifient cette préoccupation à plusieurs reprises.
La situation désastreuse est exacerbée par la fermeture illégale de Gaza par le gouvernement israélien depuis 16 ans, qui fait partie des crimes contre l’humanité d’apartheid et de persécution commis par les autorités israéliennes contre les Palestiniens. Human Rights Watch a déjà fait état de violations des droits humains contre les personnes handicapées à Gaza en raison du bouclage prolongé du territoire par le gouvernement israélien, ainsi que de la négligence des autorités du Hamas.
Les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Union européenne et d’autres alliés et gouvernements d’Israël dans la région, tels que les Émirats arabes unis, l’Égypte et Bahreïn, devraient faire pression sur ce pays pour qu’il rétablisse l’électricité et l’eau, et autorise l’arrivée de carburant et d’aide humanitaire, notamment pour permettre aux personnes handicapées d’avoir accès aux médicaments, aux appareils et équipements fonctionnels et à un soutien psychosocial.
Ces États devraient également condamner les violations du droit international humanitaire commises par toutes les parties, y compris toute attaque aveugle ; souligner la nécessité d’établir les responsabilités, y compris à la Cour pénale internationale (CPI) ; et mettre fin à toutes les formes de complicité dans les abus graves, notamment l’assistance militaire. Les membres du Conseil de sécurité de l’ONU devraient faire pression de toute urgence sur Israël pour qu’il protège les personnes handicapées à Gaza, conformément à la résolution 2475 du Conseil de sécurité et à la CDPH.
« L’indifférence d’Israël à l’égard des civils de Gaza frappe tout particulièrement les personnes handicapées », a conclu Emina Cerimović. « Les États membres de l’ONU devraient agir de toute urgence pour garantir qu’Israël et les autres parties belligérantes à Gaza respectent leurs obligations légales afin de prévenir de nouvelles atrocités et souffrances, y compris celles subies par les personnes handicapées. »
Suite en anglais, comprenant des témoignages de personnes handicapées à Gaza :
www.hrw.org/news/2023/11/01/gaza-israeli-attacks-blockade-devastating-people-disabilities
(prochainement disponible en français)