Iran : information sur le système des tribunaux révolutionnaires, y compris les procédures et les documents délivrés par les tribunaux (2017-mars 2020) [IRN200132.EF]

Direction des recherches, Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada

1. Aperçu

D’après un article universitaire paru dans Iranian Studies et rédigé par Reza Banakar, professeur de sociologie du droit à l’Université de Lund en Suède, et par Keyvan Ziaee, agrégé de recherche invité à l’Université de Lund, les tribunaux révolutionnaires sont des tribunaux [traduction] « spéciaux », qui sont « présidés par des juges religieux, et dont la compétence est distincte de celles des tribunaux publics » (Banakar et Ziaee 2018, 719).

Selon les Country Reports on Human Rights Practices for 2018 publiés par le Département d’État des États-Unis,

[traduction]

[l]a constitution ne prévoit pas la création de tribunaux révolutionnaires et ne leur confère aucun mandat. Ces tribunaux ont été créés dans la foulée d’un décret prononcé par l’ancien guide suprême, l’ayatollah Khomeini, immédiatement après la révolution de 1979, pour nommer un juge de la charia à la tête des tribunaux. Il devait s’agir d’une mesure d’urgence provisoire pour juger les hauts responsables de la monarchie renversée et pour éliminer les menaces au nouveau régime. Toutefois, les tribunaux révolutionnaires se sont institutionnalisés et fonctionnent encore parallèlement au système de justice pénale. Les groupes de défense des droits de la personne et les observateurs internationaux signalent souvent que les tribunaux révolutionnaires, qui sont généralement chargés d’instruire les cas des prisonniers politiques, tiennent des procès totalement injustes, sans procédure équitable, rendent des verdicts établis à l’avance et entérinent automatiquement les exécutions politiques. Ces pratiques inéquitables surviennent apparemment à toutes les étapes des procédures pénales des tribunaux révolutionnaires, y compris la mise en accusation initiale et l’enquête préliminaire, le procès de première instance et la révision judiciaire par les instances supérieures (É.-U. 13 mars 2019, 15).

D’après le Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran pour l’année 2017,

[version française des Nations Unies]

[l]es tribunaux révolutionnaires continuent de prononcer la grande majorité des condamnations à mort. Ces juridictions bafouent systématiquement le droit à un procès équitable et à une procédure régulière : les suspects ne sont pas autorisés à se faire assister d’un avocat au cours de l’enquête, les avocats n’ont bien souvent pas accès aux pièces du dossier, de nombreux procès ne dureraient que quelques minutes […] (Nations Unies 14 août 2017, paragr. 60).

Des sources soulignent que les tribunaux révolutionnaires n’agissent pas indépendamment des institutions de l’État (avocat 27 févr. 2020; MECS 14 févr. 2020; É.-U. 13 mars 2019, 15), et qu’ils mènent leurs activités de concert notamment avec le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) et le ministère du Renseignement (avocat 27 févr. 2020; É.-U. 13 mars 2019, 15).

2. Compétence

Des sources affirment que les tribunaux révolutionnaires instruisent principalement les affaires touchant les suivantes :

  • les activités nuisant à la sécurité nationale (Australie 7 juin 2018, paragr. 5.13; IHRDC 12 oct. 2016, sect. 2.2.1.1; MECS 14 févr. 2020);
  • le trafic de stupéfiants (Australie 7 juin 2018, paragr. 5.13; IHRDC 12 oct. 2016, sect. 2.2.1.1; MECS 14 févr. 2020);
  • l’espionnage (Australie 7 juin 2018, paragr. 5.13; IHRDC 12 oct. 2016, sect. 2.2.1.1; Rahmani et Koohshahi 2016, 49);
  • l’inimitié à l’égard de Dieu (moharebeh) (IHRDC 12 oct. 2016, sect. 2.2.1.1; Rahmani et Koohshahi 2016, 49);
  • la [traduction] « corruption sur la Terre » (efsad-e-fel-arz) (IHRDC 12 oct. 2016, sect. 2.2.1.1);
  • l’outrage au fondateur de la République islamique d’Iran (MECS 14 févr. 2020; IHRDC 12 oct. 2016, sect. 2.2.1.1; Rahmani et Koohshahi 2016, 49) et au guide suprême (IHRDC 12 oct. 2016, sect. 2.2.1.1; Rahmani et Koohshahi 2016, 49);
  • les crimes financiers qui nuisent à la stabilité et à l’économie du pays (IHRDC 12 oct. 2016, sect. 2.2.1.1);
  • la contrebande d’objets culturels ou le transfert irrégulier de la richesse à l’étranger (IHRDC 12 oct. 2016, sect. 2.2.1.1);
  • la contrefaçon d’œuvres audiovisuelles (IHRDC 12 oct. 2016, sect. 2.2.1.1);
  • les crimes liés aux établissements de santé publics et privés du pays (IHRDC 12 oct. 2016, sect. 2.2.1.1).

Dans une communication écrite envoyée à la Direction des recherches, un représentant des Services de consultation sur le Moyen-Orient (Middle East Consultancy Services - MECS), un organisme de recherche dont le siège est à Londres et qui offre des conseils stratégiques et des renseignements sur la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord aux secteurs public et privé (MECS s.d.), a affirmé que [traduction] « [l]es tribunaux révolutionnaires ont une compétence particulière, et le procureur public est habilité à établir un tribunal révolutionnaire dans chaque ville où, à son avis, un tel tribunal est nécessaire. La majorité des villes en Iran sont dotées de leurs propres tribunaux révolutionnaires » (MECS 14 févr. 2020). De même, selon un rapport sur le système judiciaire iranien publié en 2016 par le Centre de documentation sur les droits de la personne en Iran (Iran Human Rights Documentation Center - IHRDC), un organisme à but non lucratif des États-Unis fondé par des universitaires et avocats des droits de la personne dont le but est de constituer un dossier historique sur la situation des droits de la personne en Iran (IHRDC s.d.), l’article 297 du code de procédure pénale [1] prévoit que [traduction] « des tribunaux révolutionnaires sont établis dans la capitale de chaque province et, à la discrétion du responsable du système judiciaire, dans les districts judiciaires provinciaux » (IHRDC 12 oct. 2016, sect. 2.2.1.2).

3. Procédures

Dans le rapport de l’IHDRC, on peut lire que, suivant l’article 297 du code de procédure pénale, [traduction] « lorsque les tribunaux révolutionnaires instruisent des affaires pouvant entraîner des peines sévères, ils sont constitués d’un juge en chef et de deux juges adjoints. Le tribunal a un quorum de deux juges. Le juge en chef, un juge suppléant ou un juge adjoint instruira toutes les autres affaires » (IHRDC 12 oct. 2016, sect. 2.2.1.2). D’après un aperçu du système judiciaire iranien publié par GlobaLex, [traduction] « une publication juridique électronique consacrée à la recherche en droit international et étranger » (GlobaLex s.d.), [traduction] « [s]uivant l’article 297, les tribunaux révolutionnaires siègent avec trois juges dans les cas de crimes graves pouvant entraîner la peine capitale, l’emprisonnement à perpétuité, l’amputation d’un membre et des châtiments corporels, et dont la peine minimale est [le versement] du tiers du prix du sang. Dans les autres affaires, le tribunal siège avec un seul juge » (GlobaLex août 2015). Dans une communication écrite envoyée à la Direction des recherches comme suite à un entretien téléphonique, un avocat iranien des droits de la personne a affirmé que les tribunaux révolutionnaires [traduction] « se reportent à la fois au code de procédure pénale et au code pénal islamique dans toutes les affaires [qui relèvent des tribunaux révolutionnaires], telles que les crimes contre l’État, l’inimitié à l’égard de Dieu (moharebeh) et la "corruption sur la Terre". Il s’agit de crimes punissables de la peine de mort » (avocat 28 févr. 2020).

Selon les MECS, les [traduction] « procédures officielles » des tribunaux révolutionnaires iraniens sont les suivantes :

[traduction]

  1. Le tribunal de poursuite est chargé de recueillir de l’information et de déposer des actes d’accusation. Le tribunal délivre ensuite une sommation à l’accusé, qui lui explique les motifs de la sommation et indique la date et l’heure où il est tenu de se présenter. À cette étape, habituellement, l’accusé est arrêté conformément à la procédure de « détention provisoire ».
  2. Le tribunal de poursuite transmet le dossier au tribunal révolutionnaire, en vue de décider quelle section devrait instruire l’affaire. Ensuite, le directeur du tribunal révolutionnaire délivre une sommation et avise l’accusé de la date et de l’heure où il est tenu de se présenter.
  3. Habituellement, un seul juge est chargé de trancher l’affaire et de rendre le verdict.
  4. La dernière étape est le prononcé du verdict à l’accusé (MECS 14 févr. 2020).

Toutefois, des sources signalent que les tribunaux révolutionnaires ne délivrent pas toujours des sommations (MECS 14 févr. 2020; DRC et DIS févr. 2018, 6). Les MECS ajoutent que

[traduction]

[d]ans la pratique, les tribunaux révolutionnaires en Iran ont des procédures différentes. En réalité, les tribunaux révolutionnaires collaborent étroitement avec les services de renseignement et, habituellement, ils ne délivrent pas de sommations. Dans les dossiers politiques, un accusé sera contacté par téléphone et convoqué à une entrevue. Si l’accusé n’obéit pas, il peut être arrêté sans mandat. De plus, dans la plupart des cas, le juge n’est qu’un figurant et se fait dire quel verdict et quelle peine devraient être prononcés (MECS 14 févr. 2020).

Parmi les sources qu’elle a consultées dans les délais fixés, la Direction des recherches n’a pas trouvé d’autres renseignements allant dans le même sens.

D’après le ministère des Affaires étrangères et du Commerce (Department of Foreign Affairs and Trade - DFAT) de l’Australie, les tribunaux révolutionnaires

[traduction]

n’ont pas de jurys et les procès se déroulent souvent à huis clos. Durant les audiences, les juges assument aussi les rôles de procureur et de médiateur. Le recours à un avocat de la défense n’est pas permis. Dans les affaires pénales, les ordonnances rendues par les tribunaux révolutionnaires sont, le plus souvent, finales et exécutoires; toutefois, dans un nombre de cas limités, l’accusé a un droit d’appel (y compris dans les affaires pouvant entraîner la peine de mort) (Australie 7 juin 2018, paragr. 5.13).

De même, en ce qui concerne le droit d’appel, Amnesty International signale que

[traduction]

[l]e code de procédure pénale prévoit le droit de porter une décision en appel devant un tribunal supérieur, mais les procédures d’appel, particulièrement celles devant la Cour suprême, suscitent des préoccupations. Par exemple, les personnes déclarées coupables d’infractions punissables par des châtiments irréversibles, y compris la peine de mort et l’amputation, ont accès une seule instance d’appel et la procédure se fait par écrit. Même si la Cour suprême annule la peine, l’affaire est renvoyée à un tribunal de première instance qui pourrait s’entêter à rendre le même verdict. Malgré l’échec du nouveau code de procédure pénale pour ce qui est de corriger les lacunes du droit d’appel, le nouveau code a nettement amélioré le processus d’appel pour les personnes condamnées à mort pour des infractions liées aux drogues, car il abroge l’article 32 de la loi antistupéfiants, qui avait retiré le droit d’appel à cette catégorie de personnes (Amnesty International févr. 2016, 13).

Des sources affirment que, en 2018, l’appareil judiciaire de l’Iran a publié une liste de 20 avocats approuvés par l’État qui sont les seuls autorisés à représenter des accusés durant la phase d’enquête à Téhéran dans les affaires touchant la sécurité nationale (Human Rights Watch 17 janv. 2019; Radio Farda 5 juin 2018) et dans les dossiers politiques (Radio Farda 5 juin 2018). Dans le World Report 2019 de Human Rights Watch, on peut aussi lire qu’aucune femme ni aucun avocat spécialisé dans la défense des droits de la personne ne figure sur cette liste (Human Rights Watch 17 janv. 2019).

D’après l’avocat, à l’étape de l’enquête préliminaire, les policiers sont souvent chargés de recueillir les éléments de preuve, mais les agents du ministère du Renseignement et du CGRI feront enquête dans les dossiers plus importants (avocat 27 févr. 2020). L’avocat a signalé qu’une méthode [traduction] « courante » de collecte d’éléments de preuve pour les tribunaux révolutionnaires est « le plus souvent » le recours à la « torture autre que physique », par exemple la « torture psychologique » et l’isolement, dans le but d’obtenir un aveu, car un aveu est considéré comme la preuve « la plus importante » dans le système judiciaire iranien (avocat 27 févr. 2020). De même, la rapporteuse spéciale des Nations Unies signale [version française des Nations Unies] « [qu’]aucun moyen de preuve autre que les aveux obtenus sous la torture n’est examiné pour prononcer la peine de mort » dans les tribunaux révolutionnaires (Nations Unies 14 août 2017, paragr. 60).

4. Documents

Parmi les sources qu’elle a consultées dans les délais fixés, la Direction des recherches n’a pas trouvé de renseignements sur les documents délivrés exclusivement par les tribunaux révolutionnaires ni de spécimen. Pour obtenir des renseignements au sujet des assignations à comparaître et des mandats d’arrêt délivrés par le système judiciaire régulier en Iran, veuillez consulter la réponse à la demande d’information IRN200131 publiée en mars 2020.

Cette réponse a été préparée par la Direction des recherches à l'aide de renseignements puisés dans les sources qui sont à la disposition du public, et auxquelles la Direction des recherches a pu avoir accès dans les délais fixés. Cette réponse n'apporte pas, ni ne prétend apporter, de preuves concluantes quant au fondement d'une demande d'asile. Veuillez trouver ci-dessous les sources consultées pour la réponse à cette demande d'information.

Note

[1] Selon des sources, le code de procédure pénale de la République islamique d’Iran est entré en vigueur le 22 juin 2015 (Austrian Red Cross janv. 2019; Amnesty International févr. 2016, 19); toutefois, il n’a pas été possible de trouver une traduction anglaise de la version actuelle du code de procédure pénale (Austrian Red Cross janv. 2019).

Références

Amnesty International. 11 février 2016. Flawed Reforms: Iran's New Code of Criminal Procedure. (MDE 13/2708/2016) [Date de consultation : 13 févr. 2020]

Australie. 7 juin 2018. Department of Foreign Affairs and Trade (DFAT). DFAT Country Information Report: Iran. [Date de consultation : 26 févr. 2020]

Austrian Red Cross. Janvier 2019. Austrian Centre for Country of Origin and Asylum Research and Documentation (ACCORD). « Iran, Islamic Republic - Law Guide ». [Date de consultation : 13 févr. 2020]

Avocat. 28 février 2020. Communication écrite envoyée à la Direction des recherches.

Avocat. 27 février 2020. Entretien téléphonique.

Banakar, Reza, et Keyvan Ziaee. 2018. « The Life of the Law in the Islamic Republic of Iran ». Iranian Studies. Vol. 51, no 5. [Date de consultation : 27 févr. 2020]

Danish Refugee Council (DRC) et Danish Immigration Service (DIS), Danemark. Février 2018. Iran: Judicial Issues. [Date de consultation : 27 févr. 2020]

États-Unis (É.-U.). 13 mars 2019. Department of State. « Iran ». Country Reports on Human Rights Practices for 2018. [Date de consultation : 26 févr. 2020]

GlobaLex, Hauser Global Law School Program, New York University (NYU) School of Law. Août 2015. Maliheh Zare. « Update: An Overview of Iranian Legal System ». [Date de consultation : 27 févr. 2020]

GlobaLex, Hauser Global Law School Program, New York University (NYU) School of Law. S.d. « About GlobaLex ». [Date de consultation : 27 févr. 2020]

Human Rights Watch. 17 janvier 2019. « Iran ». World Report 2019: Events of 2018. [Date de consultation : 26 févr. 2020]

Iran Human Rights Documentation Center (IHRDC). 12 octobre 2016. The Iranian Judiciary: A Complex and Dysfunctional System. [Date de consultation : 26 févr. 2020]

Iran Human Rights Documentation Center (IHRDC). S.d. « Mission ». [Date de consultation : 26 févr. 2020]

Middle East Consultancy Services (MECS). 14 février 2020. Communication écrite envoyée à la Direction des recherches.

Middle East Consultancy Services (MECS). S.d. « About Us ». [Date de consultation : 14 janv. 2020]

Nations Unies. 14 août 2017. Assemblée générale. Report of the Special Rapporteur on the Situation of Human Rights in the Islamic Republic of Iran. (A/72/322) [Date de consultation : 26 févr. 2020]

Radio Farda. 5 juin 2018. « Only State-Approved Attorneys Can Represent Political Defendants ». [Date de consultation : 26 févr. 2020]

Rahmani, Tahmineh, et Nader Mirzadeh Koohshahi. 2016. « Introduction to Iran's Judicial System ». Journal of Law, Policy and Globalization. Vol. 45. [Date de consultation : 26 févr. 2020]

Autres sources consultées

Sources orales : avocats (3) ayant pratiqué le droit en Iran; Center for Human Rights in Iran; Foundation for Democracy in Iran; Iran Human Rights Documentation Center; universitaires (4) dont les recherches portent sur le système judiciaire iranien.

Sites Internet, y compris : BBC; États-Unis – Department of the Treasury; Foreign Policy Centre; Freedom House; The Guardian; Nations Unies – Refworld; Radio Free Europe/Radio Liberty; Reuters; Royaume-Uni – Home Office; The Washington Post.

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