Nigéria : information indiquant si des parents peuvent refuser la mutilation génitale féminine (MGF) de leur fille; protection offerte par l'État (2016-octobre 2018) [NGA106183.F]

Direction des recherches, Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada, Ottawa

Pour des informations générales sur les MGF au Nigéria, veuillez consulter la réponse à la demande d'information NGA105628 de septembre 2016.

1. Décision concernant les MGF

Des sources rapportent que la décision de faire subir une MGF à une fille au Nigéria revient à ses parents (Obianwu et al. janv. 2018, v; UE juin 2017, 40). Le Bureau européen d'appui en matière d'asile (European Asylum Support Office - EASO) de l'Union européenne (UE) signale qu'il existe d'importantes différences, à la fois selon les individus et les groupes ethniques, à savoir s'il s'agit du père ou de la mère qui prend la décision finale (UE juin 2017, 40). Selon des sources, la décision dépend dans certains cas d'un consensus entre les deux parents (CWSI 4 oct. 2018; Obianwu et al. janv. 2018, 16). Dans une communication écrite envoyée à la Direction des recherches, un anthropologue social et médical [1] a affirmé que la décision dépendait principalement de la mère, ainsi que de la mère et des sœurs de celle-ci (anthropologue 2 oct. 2018). De même, une représentante du Centre for Women Studies and Intervention (CWSI) [2] a signalé, dans une communication écrite envoyée à la Direction des recherches, que la décision dépendait [traduction] « particulièrement » des mères, qui maintiennent la coutume ancestrale, mais que dans un foyer plus traditionnel, où la femme est considérée comme inférieure à l'homme et incapable de prendre des décisions, la décision reviendra plutôt au père (CWSI 4 oct. 2018). Une étude menée dans quatre États du Nigéria où la fréquence des MGF est élevée, le Delta, l'Ekiti, l'Imo et le Kaduna, et dont les résultats ont été publiés en janvier 2018, a démontré que la décision était prise par les deux parents, mais que le dernier mot revenait au chef de ménage masculin (Obianwu et al. janv. 2018, v). Selon la même étude, cependant, il arrive que les hommes s'en remettent à l'opinion de leur épouse (Obianwu et al. janv. 2018, v-vi).

Selon des sources, d'autres membres de la famille que les parents peuvent prendre part à la décision (anthropologue 2 oct. 2018; UE juin 2017, 41). L'étude de janvier 2018 mentionne que les grands-mères maternelle et paternelle peuvent parfois être très influentes (Obianwu et al. janv. 2018, 16). La même source rapporte un cas où une grand-mère maternelle aurait fait exciser sa petite-fille contre la volonté de la mère (Obianwu et al. janv. 2018, 16-17).

2. Conséquences d'un refus
2.1 Pour les parents

Une spécialiste en protection de l'enfance de l'UNICEF et une représentante de la National Human Rights Commission (NHRC) du Nigéria, interrogées par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) lors d'une mission au Nigéria en 2016, ont répondu que les parents qui refusent que leur fille soit mutilée n'en subissent pas de conséquences, c'est-à-dire ni représailles ni menaces (France déc. 2016, 45-46). L'anthropologue et la représentante du CWSI ont de même affirmé que les parents peuvent refuser que leur fille subisse une MGF au Nigéria (CWSI 4 oct. 2018; anthropologue 2 oct. 2018). Selon la représentante du CWSI, il arrive même dans les communautés où les MGF sont répandues que des parents refusent que leur fille subisse une MGF, particulièrement les parents instruits (CWSI 4 oct. 2018). La même source a affirmé qu'il s'agit d'un choix qui dépend d'une acceptation volontaire des pratiques culturelles du groupe ethnique : les parents qui soumettent leur fille à cette pratique le font plus en raison d'un sens d'appartenance culturelle et par peur d'être aliénés ou privés des avantages collectifs que parce qu'ils s'y sentent forcés (CWSI 4 oct. 2018).

La représentante du CWSI a signalé que les parents qui refusent les MGF peuvent subir une forme d'exclusion sociale, particulièrement parmi leur [traduction] « "classe d'âge" » (age grade) (CWSI 4 oct. 2018). La « classe d'âge » est une forme d'association sociale locale existant dans le sud-est et le sud-sud du Nigéria, où les participants vivent selon des règles qu'ils s'imposent et qui respectent les traditions ancestrales, et où le refus des MGF pourrait entraîner une exclusion des processus décisionnels et des activités sociales et économiques du groupe (CWSI 4 oct. 2018). L'anthropologue, dans une deuxième communication écrite envoyée à la Direction des recherches, a aussi signalé, en parlant du milieu rural, que les [traduction] « menace[s] » envers les parents qui refusent des MGF se limitent à un « ostracisme temporaire » ou à des « critiques publiques » (anthropologue 16 oct. 2018). De son côté, la représentante de l'UNICEF a affirmé à l'OFPRA que, bien que l'excision soit « une attente » dans la communauté, les parents ne subiront pas de pression sociale si elle n'a pas lieu, car les MGF sont considérées comme une « "affaire familiale" » (France déc. 2016, 45).

Des sources rapportent qu'une mère s'opposant aux MGF peut être critiquée (anthropologue 2 oct. 2018) ou subir des pressions, notamment de la part de son mari ou de sa belle-mère, qui sont « des figures puissantes au sein des familles nigérianes » (France déc. 2016, 46). Une représentante de la Girls' Power Initiative (GPI) [3], interrogée par l'OFPRA, a fait savoir que la GPI recommande aux mères « de prétendre » que leur fille a été excisée pour échapper à cette pression (France déc. 2016, 46).

2.2 Pour la fille

L'anthropologue a déclaré dans sa première communication que, [traduction] « [d]ans la plupart des cas » il n'y aurait pas de conséquences pour une fille à ne pas subir une MGF (anthropologue 2 oct. 2018). Dans sa deuxième communication, il a précisé qu'elle pourrait subir des moqueries à l'école, ou être publiquement critiquée et ostracisée pour un certain temps, comme ses parents (anthropologue 16 oct. 2018). D'autres sources rapportent qu'elle pourrait en être stigmatisée (CWSI 4 oct. 2018) ou ostracisée (Australie 9 mars 2018, paragr. 3.47). Selon le ministère des Affaires étrangères et du commerce (Department of Foreign Affairs and Trade - DFAT) de l'Australie, [traduction] « [l]a pratique est étroitement liée aux concepts d’honneur de la famille et aux opportunités de mariage des filles. Les filles peuvent être exclues, rejetées ou agressées par leur famille ou leur communauté si elles n'ont pas subi de MGF » (Australie 9 mars 2018, paragr. 3.47). La représentante du CWSI explique de même que le fait de ne pas avoir subi une MGF peut entraîner pour une fille un refus généralisé des hommes de la communauté de se marier avec elle parce qu'ils croient que les femmes non circoncises [traduction] « auront des mœurs légères » (promiscuous) et seront « dépourvues de chasteté » et « sans honneur familial » (CWSI 4 oct. 2018). La représentante de l'UNICEF a également affirmé à l'OFPRA que les gens pensent qu'une fille non excisée ne pourra pas se marier et qu'elle aura des mœurs légères ou encore qu'elle sera considérée comme « "sal[e]" » et « "dévergondé[e]" », et que cela arrive dans les « "communautés rurales très isolées" » (France déc. 2016, 45). La représentante du CWSI signalé que les filles non-excisées issues de communautés plus traditionnelles sont [traduction] « généralement exclues de la fraternisation et des privilèges des groupes de pairs » (CWSI 4 oct. 2018).

Pour des renseignements sur les conséquences d'un refus des MGF, particulièrement dans l'État de Lagos et au sein du peuple edo, veuillez consulter la réponse à la demande d'information NGA105628 de septembre 2016.

3. Protection offerte par l'État

La représentante du CWSI, en faisant référence aux lois existantes, a affirmé que malgré les pratiques traditionnelles profondément enracinées du Nigéria, les parents qui refusent les MGF et leurs enfants peuvent être protégés par l'État (CWSI 4 oct. 2018). Cependant, le DFAT de l'Australie rapporte qu'il [traduction] « considère comme un avis crédible de la part de sources locales qu'il est extrêmement difficile pour les femmes et les filles d'obtenir une protection contre les MGF », car, bien que celles-ci soient de plus en plus signalées à la police et à la NHRC, le soutien de la communauté à ces pratiques et l'attitude traditionaliste de la police favorise leur maintien (Australie 9 mars 2018, paragr. 3.49). L'anthropologue, dans sa deuxième communication, a pour sa part affirmé que les [traduction] « menaces » auxquelles les filles et leurs parents seraient exposés, telles que des critiques, moqueries et un ostracisme temporaire, « ne font pas l'objet d'une attention de la part d'un gouvernement d'État » (anthropologue 16 oct. 2018). Il a ajouté ce qui suit : [traduction] « À mon avis, l'idée qu'une famille ait besoin d'une aide extérieure pour entretenir de bonnes relations (nous parlons de bonnes relations sociales, pas de menaces) est hautement improbable » (anthropologue 16 oct. 2018).

3.1 La loi et son application

Pour des renseignements sur la loi interdisant la violence contre les personnes (Violence Against Persons (Prohibition) Act) (VAPP), qui interdit les MGF au Nigéria, et sur son application, veuillez consulter la réponse à la demande d'information NGA105404 de janvier 2016.

Des sources signalent que la VAPP n'est actuellement en vigueur que dans la région de la capitale fédérale (Federal Capital Territory - FCT), Abuja (28 Too Many avec Trust Law et Latham & Watkins juin 2018, 3; É.-U. 20 avr. 2018, 32; Nations Unies 24 juill. 2017, paragr. 23). Selon la représentante du CWSI, cependant, elle s'applique aussi dans les États d'Anambra, d'Ebonyi et d'Oyo (CWSI 4 oct. 2018). Parmi les sources qu'elle a consultées dans les délais fixés, la Direction des recherches n'a pas trouvé d'autres renseignements allant dans le même sens.

Des sources signalent que chaque État du Nigéria doit adopter une législation similaire à la législation fédérale pour que les MGF y soient interdites (CWSI 4 oct. 2018; 28 Too Many avec Trust Law et Latham & Watkins juin 2018, 3; É.-U. 20 avr. 2018, 32). Selon 28 Too Many, un organisme de bienfaisance qui mène des recherches et fournit des connaissances et des outils à ceux qui luttent contre les MGF autour du monde, y compris en Afrique (28 Too Many s.d.), les États suivants avaient déjà adopté des lois contre les MGF avant la VAPP : Bayelsa, Cross River, Ebonyi, Edo, Enugu et Rivers (28 Too Many avec Trust Law et Latham & Watkins juin 2018, 3). D'après la même source, 13 États (principalement du Sud) [sur 36] avaient adopté des lois anti-MGF en date de juin 2018 (28 Too Many avec Trust Law et Latham & Watkins juin 2018, 3). Selon le blog d'un avocat nigérian défenseur des droits des petites filles publié sur le site de 28 Too Many, ces États sont les suivants : Lagos, Osun, Ondo, Ekiti, Bayelsa, Ogun, Delta, Ebonyi, Oyo, Imo, Edo, Cross-River et Rivers (Nnamdi 20 févr. 2018). Selon la représentante du CWSI, 33 États (hormis Anambra, Ebonyi et Oyo) n'ont pas encore adopté de lois similaires à la VAPP (CWSI 4 oct. 2018).

Des sources mentionnent qu'aucune poursuite n'a encore été engagée au Nigéria contre les auteurs de MGF et que la loi n'est pas appliquée (CWSI 4 oct. 2018; 28 Too Many avec Trust Law et Latham & Watkins juin 2018, 5).

Les Country Reports on Human Rights Practices for 2017 du Département d'État des États-Unis rapportent ce qui suit :

[traduction]

La loi fédérale criminalise la circoncision féminine ou les mutilations génitales, mais le gouvernement fédéral n'a pris aucune mesure légale pour enrayer la pratique. Bien que 12 États aient interdit les MGF/E[xcision], une fois que la législature d'un État a criminalisé les MGF/E, les ONG ont constaté qu'elles devaient convaincre les autorités locales que les lois des États s'appliquent dans leurs districts (É.-U. 20 avr. 2018, 33).

28 Too Many, dans un état de la situation sur les lois et les MGF au Nigéria publié en juin 2018, signale ce qui suit :

[traduction]

Les détails des lois contre les MGF ne sont pas encore largement connus ou compris, y compris par la police locale, et le public n'a généralement pas accès à la loi ou aux intervenants de la justice. […]

Lorsque les informations sont accessibles au public, elles ne sont pas toujours traduites dans les langues locales. Les projets anti-MGF sont également entravés par l'application insuffisante de la loi au niveau local et par le défi permanent que pose la violence à l'égard des femmes à travers le Nigéria. Il est à noter que l'absence de cas déclarés de MGF et la faible diffusion d'informations à travers le pays sont dus à la réticence des familles à signaler les MGF et aux risques de poursuites judiciaires, ainsi qu'à l'absence d'un système centralisé de collecte d'informations et de rapports (28 Too Many avec Trust Law et Latham & Watkins juin 2018, 6).

Cette réponse a été préparée par la Direction des recherches à l'aide de renseignements puisés dans les sources qui sont à la disposition du public, et auxquelles la Direction des recherches a pu avoir accès dans les délais fixés. Cette réponse n'apporte pas, ni ne prétend apporter, de preuves concluantes quant au fondement d'une demande d'asile. Veuillez trouver ci-dessous les sources consultées pour la réponse à cette demande d'information.

Notes

[1] Cet anthropologue a mené et dirigé pendant 40 ans des recherches sur les connaissances locales en matière de santé dans plus de vingt pays d'Afrique et il a collaboré pendant 16 ans en tant que spécialiste en recherche qualitative au Demographic and Health Surveys (DHS) Program (anthropologue 2 oct. 2018). Le DHS Program est subventionné par l'Agence américaine pour le développement international (United States Agency for International Development - USAID) qui aide les pays en développement à rassembler et à utiliser des données pour suivre et évaluer les programmes relatifs à la population, à la santé et à la nutrition (The DHS Program s.d.).

[2] Le Centre for Women Studies and Intervention (CWSI) est [traduction] « une organisation non gouvernementale, non religieuse et à but non lucratif enregistrée en 1999 dont le siège est à Abuja » qui travaille à rendre autonomes les femmes et à promouvoir l'égalité des genres (CWSI s.d.).

[3] La Girls' Power Initiative (GPI) est une organisation féministe nigériane qui œuvre pour la socialisation des filles et qui fait la promotion de la participation des femmes à la société nigériane (GPI s.d.).

Références

28 Too Many. S.d. « About Us ». [Date de consultation : 16 oct. 2018]

28 Too Many avec Trust Law et Latham & Watkins. Juin 2018. Nigeria: The Law and FGM. [Date de consultation : 27 sept. 2018]

Anthropologue. 16 octobre 2018. Communication écrite envoyée à la Direction des recherches.

Anthropologue. 2 octobre 2018. Communication écrite envoyée à la Direction des recherches.

Australie. 9 mars 2018. Department of Foreign Affairs and Trade (DFAT). DFAT Country Information Report: Nigeria. [Date de consultation : 28 sept. 2018]

Centre for Women Studies and Intervention (CWSI). 4 octobre 2018. Communication écrite envoyée à la Direction des recherches par une représentante.

Centre for Women Studies and Intervention (CWSI). S.d. « About CWSI ». [Date de consultation : 28 sept. 2018]

The Demographic and Health Surveys (DHS) Program. S.d. « Who We Are ». [Date de consultation : 15 oct. 2018]

États-Unis (É.-U.). 20 avril 2018. Department of State. « Nigeria ». Country Reports on Human Rights Practices for 2017. [Date de consultation : 28 sept. 2018]

France. Décembre 2016. Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Rapport de mission en République fédérale du Nigéria. [Date de consultation : 28 sept. 2018]

Girls' Power Initiative (GPI). S.d. « About Us ». [Date de consultation : 17 oct. 2018]

Nations Unies. 24 juillet 2017. Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes. Concluding Observations on the Combined Seventh and Eighth Periodic Reports of Nigeria. (CEDAW/C/NGA/CO/7-8) [Date de consultation : 27 sept. 2018]

Nnamdi, Ugwu Somtochukwu. 20 février 2018. « The Law and FGM in Nigeria ». 28 Too Many. [Date de consultation : 16 oct. 2018]

Obianwu, Otibho, et al. Janvier 2018. « Understanding Medicalisation of FGM/C: A Qualitative Study of Parents and Health Workers in Nigeria ». Evidence to End FGM/C: Research to Help Women Thrive. New York: Population Council. [Date de consultation : 27 sept. 2018]

Union européenne (UE). Juin 2017. European Asylum Support Office (EASO). EASO Country of Origin Information Report: Nigeria Country Focus. [Date de consultation : 28 sept. 2018]

Autres sources consultées

Sources orales : Chercheur au département de sociologie d'une université nigériane dont les intérêts incluent le genre; International Center for Research on Women, Africa Regional Office; Organisation mondiale de la santé, Abuja; Population Council; professeure d'une université nigériane dont les recherches portent sur les femmes et la religion.

Sites Internet, y compris : Amnesty International; Asylum Research Centre; CARE, Nigeria; Dutch Council for Refugees; ecoi.net; Factiva; Freedom House; Human Rights Watch; Nigéria – Federal Ministry of Women Affairs and Social Development; Reuters; Royaume-Uni – Home Office; Vanguard.

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