Résumé et recommandations: L'apatridie en Suisse

Résumé et recommandations:

Bureau du HCR pour la Suisse et le Liechtenstein

Novembre 2018

L’APATRIDIE

«

Vous n’êtes tout de même pas simplement tombé du ciel,

vous devez bien venir de quelque part!

»

problématique de l’apatridie. D’autre part, les informations mises à la disposition des apatrides sur

la procédure de reconnaissance de l’apatridie sont difficiles à comprendre. De ce fait, il est possible

que certaines personnes qui pourraient prétendre à la reconnaissance du statut d’apatride n’en

fassent pas la demande. La définition d’une personne apatride mobilisée en Suisse déroge, qui plus

est, à la définition de la Convention de 1954 relative au statut des apatrides (Convention de 1954),

en ce qu’elle est interprétée de manière restrictive (voir ci-après la section sur la pratique en matière

de reconnaissance et les exceptions à la Convention de 1954). Enfin, on peut supposer que tous les

apatrides n’ont pas nécessairement intérêt à demander la reconnaissance de leur statut.

La plupart des personnes apatrides arrivent de pays tiers, souvent pour demander l’asile en Suisse,

ou sont issues de familles ayant immigré en Suisse. Nombre d’apatrides ont par exemple quitté la

Syrie pour venir en Suisse – il s'agit en particulier de personnes palestiniennes ou kurdes. Parmi les

autres pays d’origine importants, on peut citer la Chine, la Russie et d’autres pays de l’ex-URSS et

de l’ex-Yougoslavie. En provenance de ces derniers, ce sont avant tout des Roms qui demandent la

reconnaissance du statut d’apatride.

Les apatrides reconnus sont en majorité des hommes adultes. Une part importante d’entre eux vit

dans les cantons de Berne et de Zurich, et environ un sixième des apatrides reconnus possédant un

permis B ou un permis C est né en Suisse. La plupart des apatrides reconnus ont une autorisation

d’établissement, tandis que les personnes qui relèvent de la catégorie «sans nationalité» ne reçoivent

pour la plupart qu’une admission provisoire. En comparaison, les personnes de la catégorie «État

inconnu» reçoivent quant à elles majoritairement une autorisation de séjour.

Afin d’améliorer les informations statistiques sur les apatrides en Suisse, il convient:

n

d’adopter un usage uniforme de la catégorie «apatride» et des définitions de la population

étrangère résidant de façon permanente en Suisse dans les statistiques de la population de l’OFS

et celles sur les étrangers et sur l’asile du SEM, afin d’éviter les divergences et les confusions qui

en découlent,

n

d’éviter l’utilisation de catégories telles que «sans nationalité» ou «État inconnu» pour les

apatrides et, à cette fin, d’utiliser une définition de l’apatridie conforme à la Convention de

1954 (à ce propos, voir ci-après la section sur la pratique en matière de reconnaissance et les

exceptions à la Convention de 1954),

n

mettre à disposition des informations statistiques détaillées également pour les groupes de

personnes qui n’entrent pas dans la catégorie de la population résidante permanente, à savoir

en particulier les demandeurs d’asile et les personnes au bénéfice d’une admission provisoire,

n

de collecter et de mettre à disposition davantage d’informations sur les enfants apatrides, en

particulier ceux nés en Suisse.

RÉSUMÉ ET RECOMMANDATIONS: L’APATRIDIE EN SUISSE

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La Convention de Genève relative au statut des réfugiés et la Convention relative au statut des

apatrides s’inscrivent dans le même contexte historique. En raison de cette origine historique

commune, les clauses d’exclusion de ces deux traités internationaux sont formulées de façon

quasi-identique. Elles sont néanmoins interprétées de façon différenciée en Suisse. Il en résulte

une application restrictive de la Convention de 1954, difficile à justifier du point de vue du droit

international.

En ce qui concerne la qualité des décisions dans leur ensemble, il convient de noter que les

mécanismes internes d'assurance de la qualité mis en place par le SEM consistent de manière

générale essentiellement en un contrôle des décisions par le chef de section concerné. D’autres

mesures d'assurance de la qualité seraient souhaitables dans ce domaine.

Afin de veiller à ce que les apatrides soient mieux identifiés en Suisse, il convient:

n

d’interpréter et d’appliquer la notion de «personnes apatrides» conformément à la Convention

de 1954. Cela implique en particulier:

de ne pas exclure les apatrides du champ d’application de la Convention de 1954 au motif

qu’ils auraient déjà été reconnus en tant que réfugiés, puisque la reconnaissance du statut

d’apatride constitue en soi un intérêt digne de protection,

de ne pas exclure les apatrides du champ d’application de la Convention de 1954 au motif

qu’ils auraient volontairement renoncé à leur citoyenneté et qu’ils n’auraient pas tout mis en

œuvre pour la retrouver ou en acquérir une autre. Un tel comportement pourrait plutôt être

sanctionné au niveau du droit de séjour,

de donner à la notion de «droit» une interprétation large et de renoncer à la distinction entre

apatridie de droit et apatridie de fait,

d’interpréter les clauses d’exclusion prévues à l’art. 1, par. 2, lit. i, de la Convention relative au

statut des apatrides et à l’art. 1D, par. 1, de la Convention relative au statut des réfugiés de

manière uniforme, en tenant compte des outils d’interprétation élaborés par le HCR – tels que

le Manuel du HCR sur la protection des apatrides et d’autres directives et recommandations

du HCR – et de ne pas exclure automatiquement les Palestiniennes et Palestiniens de la

protection du statut d’apatride au motif qu’ils bénéficient de la protection de l’Office de

secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient

(UNRWA).

n

de mettre en place des mécanismes d'assurance de la qualité des décisions, y compris des

formations régulières en collaboration avec le HCR, visant à assurer la formation continue des

employés du SEM impliqués dans la procédure de reconnaissance de l’apatridie, et à procéder à

un échange d’informations.

RÉSUMÉ ET RECOMMANDATIONS: L’APATRIDIE EN SUISSE

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Statut juridique des apatrides en Suisse

En Suisse, les apatrides reconnus jouissent de nombreux droits qui figurent parmi les droits minimaux

que les États contractants doivent accorder aux apatrides. La réglementation du droit de séjour

des apatrides reconnus, qui leur accorde une autorisation de séjour, est dès lors conforme au sens

et au but de la Convention de 1954, qui prescrit aux Etats contractants de garantir le respect des

droits humains fondamentaux des apatrides. L’accès à l’emploi et aux professions indépendantes est

également accordé aux apatrides reconnus, comme le prescrit la Convention. Il en va de même pour

la liberté de circulation à l’intérieur de la Suisse et le libre choix du lieu de résidence. De plus, les

apatrides reçoivent les mêmes prestations de l’aide sociale que les ressortissants suisses. Comme le

prévoit la Convention de 1954, l’expulsion et le renvoi d’apatrides reconnus n’est en outre possible

que pour des raisons de sécurité nationale ou d’ordre public.

Des lacunes concernant le statut des apatrides existent en revanche quant à la protection de la vie

familiale. Dans ce domaine, les règles qui s’appliquent aux apatrides sont les mêmes que pour les

étrangers en général. Dans certains cas cependant, et contrairement à ce qui vaut pour les étrangers

dans leur ensemble, les apatrides n’ont pas toujours la possibilité de séjourner légalement et de vivre

avec leur famille dans un autre pays. Il est donc important que cette situation spécifique soit prise en

compte en cas de demande de regroupement familial, conformément aux obligations de la Suisse en

matière de droits humains.

Les apatrides reconnus en Suisse ne reçoivent en outre pas un «Titre de voyage pour apatride», mais

un «Passeport pour étrangers» de couleur verte, qui est peu connu au niveau international et peut de

ce fait rendre les voyages plus difficiles. En ce qui concerne l’expulsion et le renvoi, la mesure dans

laquelle les garanties procédurales consacrées par la Convention de 1954 sont garanties demeure

par ailleurs peu claire.

Contrairement aux obligations découlant de la Convention de 1954, la naturalisation des personnes

apatrides en Suisse n’est facilitée que s’il s’agit d’enfants, et non pour les adultes. En conséquence,

l’acquisition de la nationalité suisse par des adultes apatrides reconnus est régie par les lois en vigueur

dans chaque canton concerné, qui prévoient des conditions de naturalisation très différentes.

Afin que les droits conférés par la Convention relative au statut des apatrides soient mieux

garantis, il convient:

n

d’assurer que les membres de la famille d’apatrides ayant un droit de séjour en Suisse puissent

les y rejoindre, conformément aux obligations de la Suisse en matière de droits humains,

n

de délivrer aux apatrides un «Titre de voyage pour apatrides», conformément aux recomman-

dations de l’OACI et au Guide du HCR («Guide for Issuing Machine Readable Convention

Travel Documents for Refugees and Stateless Persons»), et d’assurer que la délivrance d’un tel

passeport ne soit refusée aux apatrides reconnus que pour des raisons impérieuses de sécurité

nationale ou d’ordre public, conformément à l’art. 28 de la Convention de 1954,

n

d’inscrire explicitement dans la loi ou dans les directives internes du SEM les garanties

procédurales prescrites par l’art. 31, par. 2 et 3 de la Convention de 1954, en ce qui concerne les

procédures d’expulsion et de renvoi,

n

d’assurer la conformité de la Constitution fédérale avec les obligations prescrites par l’art. 32 de

la Convention de 1954 afin de permettre la naturalisation facilitée des adultes apatrides.

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HCR SUISSE ET LIECHTENSTEIN, 2018

Prévention de l’apatridie en Suisse

Afin d’éviter l’apatridie à la naissance et à un stade ultérieur de la vie, la communauté internationale

a adopté la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie (Convention de 1961). Au

niveau européen, les dispositions de la Convention de 1961 sont notamment complétées par la

Convention européenne de 1997 sur la nationalité (Convention européenne de 1997). À ce jour,

la Suisse n’a adhéré à aucune de ces deux conventions. Ces instruments internationaux visent à

prévenir la survenance de l’apatridie, en particulier chez les enfants. La possibilité d’adhérer aux

deux Conventions ayant déjà été discutée au Conseil national, la présente étude s’est efforcée

d’étudier dans quelle mesure la nouvelle Loi sur la nationalité suisse (nLN, entrée en vigueur le 1

er

janvier 2018) est conforme à ces normes juridiques internationales.

En droit suisse, les dispositions visant à réduire l’apatridie des enfants ne sont que partiellement

conformes à l’une des deux (ou aux deux) conventions susmentionnées. Ainsi, les dispositions

relatives à l’acquisition de la nationalité suisse par filiation sont en principe conformes à la Convention

de 1961 et à la Convention européenne de 1997. Dans le cas d’un enfant né hors mariage d’un père

suisse et d’une mère étrangère, il peut toutefois arriver que l’enfant, s’il n’acquiert pas la nationalité

de sa mère, soit apatride jusqu’à ce que le rapport de filiation avec le père soit établi.

Les enfants apatrides – qu’ils soient nés en Suisse, ou nés à l’étranger et arrivés plus tard en Suisse

– peuvent déposer une demande de naturalisation facilitée. La décision de l’octroi de la nationalité

par naturalisation relève cependant du pouvoir discrétionnaire du SEM. Les conditions à remplir

pour une telle naturalisation sont par ailleurs bien plus élevées que celles prévues dans les deux

conventions susmentionnées.

Dans le cas des enfants trouvés, les dispositions juridiques en matière de nationalité offrent une

protection contre l’apatridie en accord avec ces deux conventions. Cela vaut également pour les

enfants adoptés en ce qui concerne la Convention européenne de 1997 (la Convention de 1961 ne se

prononce pas sur ce point). Le statut juridique des enfants adoptés n’est cependant pas suffisamment

réglementé pendant l’année de placement, si bien qu’un risque d’apatridie existe.

Les dispositions du droit suisse qui régissent la perte aussi bien que la déchéance de nationalité

sont dans l’ensemble conformes à la Convention de 1961. Cela n’est toutefois pas le cas s’agissant

des dispositions relatives au retrait de la nationalité suisse pour les double-nationaux, dans le cas

d’enfants nés à l’étranger d’un parent suisse qui disposent également d’une autre nationalité. Selon

l’art. 7, al. 2, de la nLN, la perte de nationalité suisse de ces enfants s’applique également à leurs

descendants, même si ces derniers risquent de ce fait de devenir apatrides, faute d’être eux-mêmes

double-nationaux. Cette disposition, de même que d’autres dispositions relatives à la nationalité

suisse, n’est en outre pas conforme à la Convention européenne de 1997.

La perte de la nationalité suisse s’applique en cas d’annulation du lien de filiation indépendamment

de l’âge de la personne concernée, et non pas seulement tant que celle-ci est mineure (art. 5 de la

nLN). Selon l’art. 7, par. 1, lit. f, de la Convention européenne de 1997, cela ne devrait être possible

que jusqu’à ce que l’enfant atteigne la majorité.

RÉSUMÉ ET RECOMMANDATIONS: L’APATRIDIE EN SUISSE

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Afin de mieux prévenir l’apatridie des enfants et à un stade ultérieur de la vie, il convient:

n

que la Suisse adhère à la Convention de 1961 et à la Convention européenne de 1997,

n

que la législation suisse soit révisée, conformément à l’art. 7 de la Convention relative aux droits

de l’enfant, afin que les enfants nés en Suisse et risquant d’être apatrides aient le droit d’acquérir

la nationalité suisse,

n

que les modifications législatives nécessaires soient adoptées dans la perspective d’une

adhésion à la Convention de 1961 et à la Convention européenne de 1997, notamment afin de:

prévoir, dans l’art. 1, al. 2, de la nLN, qu’un enfant mineur dont le père est suisse puisse

acquérir la nationalité suisse dès réception de la demande de reconnaissance de paternité

par l’office de l’état civil, sous réserve de sa validité juridique,

prévoir que la perte de la nationalité suisse d’un parent né à l’étranger selon l’art. 7 de la nLN

ne s’étende pas à ses enfants si ceux-ci devaient de ce fait devenir apatrides,

garantir que les enfants adoptés à l’étranger ne soient pas apatrides durant la période qui

sépare leur arrivée en Suisse de leur adoption,

faire en sorte qu’un enfant ne puisse perdre la nationalité suisse, en vertu de l’art. 5 de la nLN

et dans les cas où sa filiation avec le parent qui lui a transmis la nationalité suisse est annulée,

qu’avant d’atteindre sa majorité.

Remarques conclusives

Dans le cadre du mandat international qui lui a été confié par l'Assemblée générale des Nations

Unies afin de mettre fin à l'apatridie dans le monde, le HCR a lancé en novembre 2014 la campagne

#IBelong (#J’appartiens), visant à collaborer avec les acteurs de la société civile et les apatrides pour

aider les gouvernements du monde entier à éradiquer l'apatridie d’ici dix ans.

Cet objectif ne pourra être atteint que si les lacunes des dispositifs actuels de protection des apatrides

et de réduction de l’apatridie sont clairement identifiées. Le HCR a, dans ce sens, réalisé des études

sur la situation des apatrides dans plusieurs États. La présente étude sur la situation des apatrides en

Suisse s’inscrit dans ce cadre.

Le HCR espère que cette étude et les recommandations qui en découlent encourageront un échange

approfondi entre tous les acteurs concernés en Suisse quant aux possibilités de combler les lacunes

existantes en matière de protection et de réglementation, ainsi qu’afin d’améliorer le système de

protection existant.

La conférence internationale prévue en octobre 2019 dans le cadre de la campagne #IBelong offrira

l’occasion de présenter les améliorations déjà accomplies ou prévues dans ce cadre, et d’envoyer

ainsi un signal fort en faveur de l’application des conventions internationales et de l’éradication de

l’apatridie dans le monde.