Le rapport de 87 pages, intitulé « Dashed Hopes: The Criminalization of Peaceful Expression in Myanmar » (« Espoirs déçus : Criminalisation de l’expression pacifique au Myanmar »), examine le recours, par le gouvernement que dirige la Ligue nationale pour la démocratie d’Aung San Suu Kyi, à des lois vagues, et de vaste portée, pour s’en prendre à des militants, journalistes et citoyens ordinaires. Alors que diverses questions sont aujourd’hui débattues dans les médias, y compris en ligne, les critiques du gouvernement, de l’armée ou de leurs responsables, ainsi que des abus commis dans les États de Rakhine ou de Kachin, font souvent l’objet d’arrestations et de poursuites.

« Les abus contre la presse sous le nouveau gouvernement du Myanmar ont été particulièrement saisissants », a déclaré Linda Lakhdhir, conseillère juridique auprès de la division Asie à Human Rights Watch et auteure du rapport. « Aung San Suu Kyi et la Ligue nationale pour la démocratie ont promis un nouveau Myanmar, mais le gouvernement continue de s’attaques aux discours et manifestations pacifiques et n’a pas amendé les lois répressives en vigueur de longue date. »

Malgré les espoirs suscités par la victoire du parti d'Aung San Suu Kyi lors des élections de novembre 2015, les atteintes à la liberté d'expression se poursuivent de manière alarmante au Myanmar. Human Rights Watch appelle au respect de ce droit fondamental.

Le rapport, qui s’appuie sur des entretiens conduits au Myanmar et une analyse des amendements apportés aux lois et aux politiques depuis 2016, analyse l’utilisation de ces lois, notamment celles relative aux télécommunications, et aux rassemblements pacifiques et aux processions pacifiques, ainsi que du code pénal du Myanmar. Le gouvernement devrait cesser de pénaliser la liberté d’expression et le rassemblement pacifiques, et entreprendre des réformes législatives pour mieux protéger les libertés d’expression et de réunion, ainsi que les médias, a préconisé Human Rights Watch.

Le recours à l’article 66 d) de la loi sur les télécommunications par le nouveau gouvernement a été élargi. Cette loi et d’autres qui érigent la diffamation en infraction pénale ont été utilisées à maintes reprises pour poursuivre des personnes critiquant ou « insultant » le gouvernement ou l’armée, ou qui les présentent sous un jour défavorable. En décembre 2018, pour prendre un exemple récent, trois militants pro-paix ont été reconnus coupables de diffamation contre l’armée pour avoir demandé la protection des populations déplacées par la reprise des affrontements dans l’État de Kachin. En avril de la même année, huit lycéens ont été reconnus coupables d’avoir tourné en dérision l’armée dans une pièce satirique contre la guerre, tandis que celui qui avait diffusé la pièce en streaming a été reconnu coupable d’infraction à l’article 66 (d).

« Je pense que les militaires n’ont pas goûté ce que de jeunes gens disaient d’eux sur scène », a expliqué à Human Rights Watch le responsable de la diffusion de la pièce sur Internet, Htun Htun Oo. « Ceux-ci ont également mentionné que les soldats peuvent se livrer à des viols pendant les guerres. C’est la partie qui a déplu à l’armée. »

Des journalistes ont été arrêtés en vertu des Lois relatives aux télécommunications, aux associations illégales, aux secrets officiels, aux organes d’information et aux aéronefs de 1934, respectivement. Dans une affaire qui a retenu l’attention du monde entier, deux journalistes de Reuters, Wa Lone et Kyaw Soe Oo, ont été condamnés à sept ans de prison en vertu de la Loi sur les secrets officiels, qui date de l’époque coloniale, manifestement en représailles de leur découverte d’un massacre de membres de l’ethnie Rohingya dans le village d’Inn Din. Les journalistes se sont également vu refuser l’accès aux zones de conflit et à des informations portant sur les politiques et programmes gouvernementaux.

Ces nombreuses arrestations et poursuites judiciaires ont soulevé une vague d’inquiétude parmi les journalistes du Myanmar, a relevé Human Rights Watch.

Les poursuites pour organisation ou participation à des assemblées se sont multipliées en 2018 après une série de manifestations anti-guerre dans le pays. Plus de 45 manifestants ont été arrêtés, la plupart d’entre eux pour des chefs d’accusation portés en vertu de la Loi sur les réunions pacifiques et la procession pacifique.

« Le gouvernement d’Aung San Suu Kyi, qui avait une réelle occasion de démanteler les outils d’oppression prisés par les juntes militaires, a préféré s’en servir contre des opposants et des manifestants pacifiques », a conclu Linda Lakhdhir. « Il n’est pas trop tard pour changer de cap et prendre des mesures en vue de protéger pleinement les libertés d’expression et de réunion au Myanmar. »