(New York) – Les forces de sécurité gouvernementales et les séparatistes armés ont commis de graves abus contre des habitants de régions anglophones du Cameroun, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui. Ces régions ont été secouées par des manifestations et des affrontements violents liées à des griefs politiques que la minorité anglophone du pays entretient de longue date.

Basé sur des recherches conduites dans la région et l’analyse d’images satellitaires et de vidéos filmées sur place, le rapport de 64 pages, intitulé « ‘Ces meurtres peuvent être stoppés’: Abus commis par des membres des forces gouvernementales et des groupes séparatistes dans les régions anglophones du Cameroun », révèle que, tant les forces gouvernementales que les séparatistes armés ont perpétré des exactions contre des civils dans les régions occidentales du pays, entraînant le déplacement de plus de 180 000 personnes depuis décembre 2017. Les séparatistes anglophones ont extorqué, kidnappé et tué des civils, et empêché les enfants d'aller à l'école. En réponse aux manifestations puis à l’utilisation de la violence par des séparatistes armés, les forces gouvernementales ont tué des civils, fait usage de la force excessive contre des manifestants, torturé et maltraité des séparatistes présumés et des détenus, et ont brûlé des centaines de maisons dans plusieurs villages.

« La situation des droits humains au Cameroun a atteint un niveau de crise et pourrait encore s'aggraver », a déclaré Mausi Segun, directrice de la division Afrique de Human Rights Watch. « La communauté internationale doit agir afin de garantir que les deux parties prennent des mesures concrètes pour protéger les civils et garantir la justice concernant les crimes commis à leur encontre ».

Human Rights Watch a documenté les abus perpétrés par les forces gouvernementales ainsi que par divers séparatistes entre fin 2016 et mai 2018. Human Rights Watch a interrogé 51 victimes, proches de victimes ou témoins d’abus, ainsi que 31 professionnels de l'éducation et de la santé, avocats, et autres sources internationales clés. Les entretiens ont été réalisés dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun en avril.

Human Rights Watch a également analysé des images satellite de villages dans ces régions, examiné des plaintes écrites adressées à une organisation locale suite à des abus par des forces de sécurité, et recueilli des dizaines de vidéos et photographies qui semblaient montrer des membres des forces de sécurité gouvernementales maltraitant des civils ou incendiant des villages, ou les conséquences de ces abus. Dans le cas de six de ces vidéos, les analystes de Human Rights Watch ont pu établir qu'elles ont été filmées dans les lieux et à des moments compatibles avec ce qu'elles affirment représenter.

La crise dans les régions anglophones résulte d’événements survenus à la fin de l'année 2016, lorsqu’une mobilisation massive des avocats et des syndicats d'enseignants locaux exigeant le respect des systèmes éducatifs et judiciaires anglophones de leur région a dégénéré en affrontements armés, à la suite d'une répression brutale des forces de sécurité gouvernementales. Alors que le gouvernement camerounais a négocié avec les avocats et les syndicats d'enseignants au début de 2017, ses forces de sécurité ont continué de sévir contre les manifestants anglophones et ont arrêté deux négociateurs importants le 17 janvier 2017, alimentant encore les tensions.

Pendant ce temps, des activistes séparatistes luttant pour la création d’un État indépendant dans les régions anglophones ont commencé à incendier les écoles en 2017 et ont attaqué les enseignants et les élèves afin d’imposer un boycott des écoles, décrit par les témoins comme visant à rendre la région ingouvernable. En juin 2018, l'UNICEF a signalé qu'au moins 58 écoles avaient été endommagées depuis le début de la crise. Human Rights Watch a pu documenter 19 menaces ou attaques contre des écoles et 10 menaces ou attaques contre des personnels enseignants.

À la fin de 2017, les groupes de la diaspora anglophone ont formé un gouvernement intérimaire pour la « République d'Ambazonie » autoproclamée et ont appelé à de nouvelles manifestations de masse. Les forces de sécurité du gouvernement ont réagi violemment, tuant plus de 20 personnes et en arrêtant des centaines.

Le 29 janvier 2018, les autorités nigérianes ont arrêté et remis aux autorités camerounaises 47 activistes anglophones, dont le président par intérim de la « République d'Ambazonie ». Depuis lors, les séparatistes armés ont mobilisé davantage de partisans et de ressources, et ils ont intensifié les attaques contre les forces de sécurité gouvernementales.

En réponse, les forces de sécurité du gouvernement ont commencé à mener des opérations contre-insurrectionnelles abusives dans la région. Lors d’opérations sécuritaires dans 12 villages du Nord-Ouest et du Sud-Ouest documentées par Human Rights Watch entre janvier et avril 2018, les forces de sécurité gouvernementales ont tiré et tué plus d’une douzaine de civils, dont au moins sept personnes présentant des incapacités intellectuelles et / ou psychosociales ou physiques qui avaient été incapables de fuir ou avaient refusé de le faire. Des témoins ont confié à Human Rights Watch qu’au moins quatre femmes âgées laissées sur place par leurs proches au moment de l'attaque ont été brûlées vives lorsque les forces de sécurité ont mis le feu à leurs maisons.

Un homme de 43 ans a décrit avoir trouvé le cadavre de sa mère de 69 ans après une opération sécuritaire du gouvernement sur Bole le 23 mars 2018. « J'ai trouvé que tout dans la maison avait été brûlé, y compris ma mère. Quand les militaires sont venus, ma femme et mes enfants ont couru mais ma mère ne pouvait pas », a-t-il déclaré. « Elle est morte d'une mort atroce. Nous avons seulement retrouvé sa tête et ses intestins. Tout le reste était brûlé. »

Grâce à l'imagerie satellitaire, Human Rights Watch a évalué des images satellite de 131 villages dans le Sud-Ouest. De ce total, 20 villages montrent des signes de destruction correspondant à des incendies criminels. Au total, 1800 structures détruites ont pu être identifiées.

Human Rights Watch a interrogé des gens venant de cinq des villages analysés qui ont expliqué avoir fui, alors que les forces de sécurité pénétraient dans le village, puis avoir observé de la fumée s'élever dans les airs.

Des vidéos diffusées en ligne sur You Tube et Twitter semblent démontrer l’incendie d’édifices dans le Sud-Ouest. Human Rights Watch a pu vérifier l’emplacement de six vidéos montrant des cas de destruction dans quatre villages. Dans une vidéo filmée dans un de ces villages, Azi, les forces de sécurité peuvent être vue en train de mettre un édifice en feu.

Au mois de mai, au moins 160 000 personnes avaient été déplacées à l'intérieur du pays, 80 % d'entre elles se cachaient dans la forêt et au moins 20 000 Camerounais avaient cherché refuge au Nigeria depuis fin 2017, selon les agences des Nations Unies.

Lors de réunions avec Human Rights Watch dans la capitale Yaoundé en juin, de hauts responsables du gouvernement ont déclaré que le président Paul Biya a autorisé des enquêtes sur les allégations d'abus. Ils ont reconnu qu'il était possible que certains membres du personnel de sécurité aient commis des « excès » mais ont exprimé des doutes sur le fait que les forces de sécurité auraient incendié des bâtiments à grande échelle. Dans un plan d'aide humanitaire de juin 2018, le gouvernement a cependant budgétisé la reconstruction de 10 000 maisons familiales.

Le gouvernement camerounais devrait rapidement tenir ses promesses d'enquêter sur ces allégations et le faire de manière transparente, et prendre des mesures concrètes pour protéger les civils, en déployant par exemple des officiers de la police judiciaire militaire sur le champ d’opération pour y surveiller le comportement des forces de sécurité et y conseiller les commandants, alors qu’il répond aux séparatistes armés. Il devrait également signaler immédiatement sa volonté de permettre aux observateurs internationaux indépendants, notamment au Bureau du Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, d'accéder à ces régions et d’y travailler.

Le 16 juillet, le gouvernement du Cameroun a formellement répondu aux résultats des recherches de Human Rights Watch.

Human Rights Watch a également déclaré que les dirigeants séparatistes armés devraient appeler leurs partisans à cesser les abus contre les civils et permettre aux enfants de fréquenter l'école.

Les entités internationales, notamment les Nations Unies et l'Union africaine ainsi que les partenaires internationaux du Cameroun – notamment les États-Unis et la France – devraient inciter les deux parties à prendre des mesures rapides et concrètes afin de protéger les civils et de garantir la justice pour les crimes commis à leur encontre.

« Malgré les abus et provocations des séparatistes armés, le gouvernement ne devrait jamais répondre en attaquant des civils et en incendiant des villages », a conclu Mausi Segun. « Les deux parties devraient reconnaître qu'elles n'atteindront pas leur but en perpétuant le cycle de la violence, et devraient œuvrer en faveur d’une solution négociée. »