Afghanistan: Night letters [Shab Nameha, Shabnamah, Shabnameh], including appearance (2010-2015) [AFG105047.E]

Afghanistan : information sur les lettres de nuit [shab nameha, shabnamah, shabnameh], y compris sur leur apparence (2010-2015)

Direction des recherches, Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada, Ottawa

1. Contexte

Des sources décrivent ainsi les lettres de nuit :

  • un moyen de communiquer de l'information générale ou des instructions précises à la population locale ou à des personnes ciblées; les lettres sont distribuées par messager à la faveur de la nuit et contiennent des instructions, des menaces ou des avertissements à l'intention d'Afghans visés personnellement ou de petits groupes communautaires (analyste indépendant 9 janv. 2015);
  • des [traduction] « lettres de menaces » qui sont destinées à des groupes ou à des personnes, qui sont généralement distribuées par messager ou affichées sur une porte ou une mosquée par des groupes insurgés à la faveur de la nuit et qui constituent « un moyen d'intimidation et de contrôle des collectivités locales couramment utilisé par les insurgés » (Human Rights Watch juill. 2010, 25).

Les lettres de nuit étaient utilisées par les insurgés moudjahidines (professeur 19 janv. 2015; MRG juill. 2011, 139). Historiquement parlant, en Afghanistan, les insurgés les utilisaient pendant la période du régime prosoviétique afin de transmettre des menaces (ibid.; AIHRC 17 janv. 2015). Dans une communication écrite envoyée à la Direction des recherches, un professeur, aussi directeur du programme d'études des cultures et des conflits (Program for Culture and Conflict) à l'École navale supérieure (Naval Postgraduate School), en Californie [1], qui mène depuis trente ans des recherches sur l'Afghanistan et l'Asie du Sud - notamment des études sur les récits et la [traduction] « propagande » des talibans comme les lettres de nuit - et qui en publie les fruits, a fait état de la réapparition des lettres de nuit chez les talibans et d'autres insurgés après « la chute des talibans en 2001 » (professeur 19 janv. 2015).

2. Objet et fréquence d'utilisation

D'après le professeur, les lettres de nuit sont une [traduction] « méthode de communication privilégiée par les talibans » pour faire connaître leurs « désirs et exigences » aux populations des régions rurales de l'Afghanistan, de même qu'à celles des centres urbains (ibid.). Le professeur a également fait observer que les lettres de nuit [traduction] « contiennent souvent des menaces de violence ou de mort en cas de non-respect des exigences qui y sont formulées » et qu'elles peuvent aussi « informer » leurs destinataires (parfois un district ou un village entier, ou des dirigeants communautaires) d'attaques à venir ou d'attentes relatives à la conduite et au comportement (ibid.). Dans une communication écrite envoyée à la Direction des recherches, un analyste indépendant de la situation en Afghanistan [2] a expliqué qu'on utilise habituellement les lettres de nuit dans l'intention de [traduction] « répandre la terreur » et que les messages véhiculés par ces lettres visent « généralement à menacer, ou à encourager la conformité aux instructions des talibans, souvent dans le but de s'assurer que la population locale n'entretient aucun lien avec le gouvernement du pays ou la communauté internationale » (analyste indépendant 9 janv. 2015).

Selon le professeur, l'usage de lettres de nuit est [traduction] « très répandu » en Afghanistan (19 janv. 2015). D'après des renseignements fournis par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) au Service danois de l'immigration (Danish Immigration Service) durant une mission d'enquête menée à Kaboul en 2012, les lettres de nuit sont une [traduction] « tactique couramment utilisée par les talibans » et « très répandue » pour intimider les personnes travaillant pour le gouvernement de l'Afghanistan ou les « Occidentaux » (Danemark mai 2012, 31-32). Par ailleurs, selon des renseignements fournis par l'Afghanistan Independent Human Rights Commission (AIHRC) [un organisme national quasi gouvernemental dont le mandat est de promouvoir et de protéger les droits fondamentaux des Afghans et de mener des enquêtes sur les allégations de violations des droits de la personne (Canada 9 févr. 2015)] à la même source, les lettres de nuit sont une [traduction] « tactique bien connue employée par les talibans pour intimider les gens » (Danemark mai 2012, 30). On peut lire dans les Country Reports on Human Rights Practices for 2013, publiés par le Département d'État des États-Unis, que les talibans [traduction] « continuent à distribuer des messages de menaces, une tactique faisant partie de leurs efforts visant à nuire au gouvernement et à mettre un terme aux activités de développement » (É.-U. 27 févr. 2014, 18).

Une [traduction] « organisation indépendante de recherche stratégique » de Kaboul a affirmé au Service danois de l'immigration que la fréquence d'utilisation des lettres de nuit par les talibans varie selon la région et que cette méthode est « très répandue » à Kandahar (Danemark mai 2012, 32). L'Organisation internationale pour les migrations (OIM) a informé le Service danois de l'immigration que les lettres de nuit étaient plus fréquentes à la campagne qu'à Kaboul (ibid.). De même, selon de l'information que le Service danois de l'immigration a reçue de l'AIHRC, la tactique des lettres de nuit est moins employée à Kaboul, mais elle est [traduction] « répandue » dans les régions rurales comme les provinces de Wardak et de Ghazni (ibid., 30).

3. Auteurs

Des sources affirment que les talibans sont le principal groupe qui fait usage de lettres de nuit (professeur 19 janv. 2015; analyste indépendant 9 janv. 2015). Des sources signalent que d'autres groupes insurgés ont également recours à ces lettres, par exemple les groupes associés au réseau Haqqani (ibid.; professeur 19 janv. 2015) ou le groupe Tora Bora, qui fonctionnent de manière indépendante tout en soutenant les activités des talibans (ibid.). Il est écrit dans un rapport de 2008 publié par l'International Crisis Group et traitant de la propagande talibane que ces groupes insurgés rivaux se servent aussi de lettres de nuit pour revendiquer des terres (24 juill. 2008, 13).

Dans une communication écrite envoyée à la Direction des recherches, un représentant d'AIHRC a déclaré que, en plus des talibans et des [traduction] « groupes armés illicites », les gangs criminels du monde de la drogue utilisent les lettres de nuit pour demander des rançons; des individus cherchant vengeance ou un gain personnel ont également recours à ce type de lettre (17 janv. 2015). L'analyste indépendant a affirmé que les milices et les criminels locaux se servent de lettres de nuit [traduction] « pour atteindre leurs propres fins - lesquelles pourraient certainement inclure la volonté de se faire passer pour un groupe insurgé » (9 janv. 2015). Des sources signalent d'ailleurs que les personnes menant des activités criminelles utilisent des lettres de nuit qu'elles font passer pour des lettres des talibans afin de [traduction] « se servir » de la crainte ressentie par leurs cibles (International Crisis Group 24 juill. 2008, 12; professeur 19 janv. 2015).

4. Cibles et destinataires

Le professeur a expliqué que la principale [traduction] « cible » des lettres de nuit envoyées par les talibans est la « population locale », plus précisément la population des provinces du Sud et de l'Est de l'Afghanistan à prédominance pachtoune, des régions qui, traditionnellement, forment l'assise du soutien aux talibans (ibid.). Au dire de l'analyste indépendant, les cibles des lettres de nuit sont généralement [traduction] « des personnes précises qui, selon les talibans, enfreignent leurs règles ou instructions ou, dans une optique plus générale, des groupes communautaires locaux comme des villages de petite taille » (analyste indépendant 9 janv. 2015). Il a expliqué que les cibles comprennent des personnes qui pourraient être perçues comme des cibles [traduction] « de faible niveau », entre autres des « fonctionnaires, des femmes, des enseignants ou des employés subalternes travaillant pour des organisations internationales » (ibid.). Des sources font également état des cibles suivantes, visées par des lettres de nuit :

  • des employés du gouvernement de l'Afghanistan (International Crisis Group 24 juill. 2008, 12; AIHRC 17 janv. 2015; professeur 19 janv. 2015), y compris des policiers, des agents de sécurité et des personnes que les talibans perçoivent comme des [traduction] « espions » (ibid.);
  • des personnes travaillant pour des forces internationales (RFE/RL 21 nov. 2012; International Crisis Group 24 juill. 2008, 12; AIHRC 17 janv. 2015) et des ambassades (ibid.);
  • des intellectuels et des théologiens (ibid.), comme des théologiens islamiques oulémas qui n'adhèrent pas aux interprétations religieuses des talibans (professeur 19 janv. 2015);
  • des militants et défenseurs des droits de la personne (AIHRC 17 janv. 2015), ainsi que des enseignants et des élèves (professeur 19 janv. 2015; International Crisis Group 24 juill. 2008, 12; Pajhwok Afghan News 8 mars 2013);
  • des personnes travaillant pour des organisations nationales et internationales de déminage (AIHRC 17 janv. 2015) ou des ONG (professeur 19 janv. 2015);
  • des anciens de tribus locales (AIHRC 17 janv. 2015; professeur 19 janv. 2015);
  • des partis politiques (ibid.);
  • des [traduction] « personnalités » religieuses (ibid.);
  • des [traduction] « hommes d'affaires (contre rançon) » (AIHRC 17 janv. 2015);
  • des femmes travaillant à l'extérieur de la maison, y compris celles qui travaillent comme enseignantes ou fonctionnaires ou dans la société civile (RFE/RL 7 déc. 2012; Human Rights Watch juill. 2010, 25-27);
  • comme ce fut le cas lors des élections présidentielles et provinciales de mars 2014, des électeurs (IWPR 2 avr. 2014; Killid Weekly 29 mars 2014; WSJ 11 mars 2014), des personnes travaillant pour les élections ainsi que des participants à la campagne électorale (ibid.; Killid Weekly 29 mars 2014).

5. Apparence et types de lettres

Selon l'analyste indépendant, les lettres de nuit sont [traduction] « habituellement de courtes lettres ou notes (une page) » distribuées par messager, et il pourrait être avancé que chacune d'elles constitue essentiellement un « type précis et distinct » (analyste indépendant 9 janv. 2015). Les lettres sont [traduction] « très souvent écrites à la main à l'intention de personnes ou de collectivités particulières et assorties d'instructions précises » (ibid.). Toujours selon l'analyste indépendant,

[traduction]

une lettre de nuit générique comporte un titre et un en-tête se rapportant aux talibans, quelques lignes d'instructions très directes et simples (y compris, dans le cas d'une lettre adressée à une personne en particulier, une description du tort reproché à cette personne), de même qu'un élément officiel - un timbre, une signature ou une indication utilisée en guise de clôture. Les communications locales des talibans sont souvent empressées, rudimentaires et simplistes. Ils ne considèrent pas les ressources administratives, l'aptitude à lire ou les capacités de rédaction - ni même la connaissance du titre officiel de leur organisation, quel qu'il soit - comme des atouts prioritaires (ibid.).

Selon le représentant de l'AIHRC, l'en-tête officiel des talibans se retrouve parfois sur des lettres de nuit, mais, la plupart du temps, celles-ci sont rédigées sur un bout de papier sur lequel est apposé un timbre ou sur lequel figurent le nom et la signature de l'expéditeur; elles sont habituellement manuscrites ou, [traduction] « à de rares occasions », imprimées (17 janv. 2015). Le professeur a par ailleurs expliqué que l'apparence des lettres de nuit est variée, allant de lettres imprimées de manière [traduction] « très professionnelle », sur lesquelles figurent des symboles des talibans comme leur logo et la signature d'un représentant « fiable » du groupe, à des lettres manuscrites « très rudimentaires » (professeur 19 janv. 2015). Il a ajouté que les différences principales observées à l'étude de lettres de nuit illustrent la disparité entre celles qui sont [traduction] « officiellement ratifiées par des représentants des talibans ou des autorités religieuses » et celles qui sont produites, « pour les besoins de la cause », par un taliban ou un commandant de ce groupe (ibid.). Dans un rapport de 2012 sur les stratégies d'intimidation employées par les insurgés en Afghanistan, le Bureau européen d'appui en matière d'asile (BEA) [3] a déclaré que les lettres de nuit des talibans peuvent comprendre [traduction] « un en-tête où figurent le logo et le titre "Émirat islamique d'Afghanistan" (Islamic Emirate of Afghanistan) ainsi que la signature du commandant local des talibans », mais il a aussi fait observer que ces caractéristiques ne se retrouvent pas toujours sur les lettres et que « différents modèles peuvent apparaître selon la région et le groupe insurgé à l'origine de la lettre » (UE déc. 2012, 24). Plusieurs exemples de lettres de nuit sont annexés à la présente réponse.

Des sources expliquent que les lettres sont souvent rédigées en pachtou ou en dari (AIHRC 17 janv. 2015; professeur 19 janv. 2015), dans un dialecte local précis du pachtou ou du dari, selon la région ou l'endroit ciblé (ibid.).

6. Distribution des lettres de nuit

L'analyste indépendant affirme que [traduction] « la plupart » des lettres de nuit sont encore distribuées à la faveur de la nuit par un messager, qui les cloue à une porte, un mur ou un arbre, les glisse sous une porte ou les laisse dans la rue; il a aussi fait observer que « quelques-unes seulement » sont distribuées à la fois (analyste indépendant 9 janv. 2015). Il a ajouté que [traduction] « les insurgés tiendraient pour acquis que l'information serait, dans les faits, en grande partie transmise par les habitants eux-mêmes » (ibid.). Par ailleurs, le professeur a expliqué que les lettres de nuit sont souvent affichées sur la porte de la personne ciblée ou de la mosquée, ou encore celle des habitants du village sachant lire, pour qu'ils lisent ensuite le message à la population locale (professeur 19 janv. 2015).

Toujours selon le professeur, la transmission de messages par les groupes insurgés va au-delà des [traduction] « systèmes simplistes utilisés traditionnellement en Afghanistan », dont font partie les lettres de nuit; il a précisé que ces groupes se servent de plus en plus des technologies numériques comme Internet et les télécommunications pour faire passer leurs messages (ibid.). D'autres sources signalent d'ailleurs que, pour proférer des menaces, les groupes insurgés utilisent non seulement les téléphones cellulaires, mais aussi diverses technologies comme Internet et les médias sociaux (Danemark mai 2012, 32; Wired 17 mars 2011). Des sources affirment que des menaces sont envoyées par messages texte (International Crisis Group 24 juill. 2008, 13; Danemark mai 2012, 31), en particulier à Kaboul ou dans d'autres grandes villes (ibid.).

7. Signalement à la force policière et mesures prises par celle-ci

Selon l'analyste indépendant, ce sont les [traduction] « circonstances individuelles » qui déterminent si une personne signale avoir reçu une lettre de nuit à la police; toutefois, « la confiance en la capacité de la police (voire son intérêt) à enquêter et à agir pour enrayer la menace est souvent faible » (analyste indépendant 9 janv. 2015). À son avis, la force policière dispose de ressources et d'une capacité restreintes et serait [traduction] « uniquement en mesure [de] réagir de façon limitée » à une menace proférée dans une lettre de nuit (ibid.). Par ailleurs, le Service danois de l'immigration a affirmé que, selon Cooperation for Peace and Unity (CPAU), [traduction] « organisation à but non lucratif dirigée par des Afghans » et qui œuvre pour la paix et la justice sociale en Afghanistan (CPAU s.d.), même à Kaboul, [traduction] « les gens ne s'adressent généralement pas à la police » lorsqu'ils reçoivent une lettre de nuit ou un autre message de menaces, car les policiers « ne prennent habituellement aucune mesure dans ce genre d'affaires » (Danemark mai 2012, 31). Le représentant de l'AIHRC a expliqué que'en règle générale, les policiers consignent les types de menaces qui sont [traduction] « très graves » et conseillent à la victime de ne pas faire de vagues et de signaler toute menace subséquente (AIHRC 17 janv, 2015). Or, « dans les faits, ces mesures ne sont pas [...] efficaces »; dans la plupart des cas, les personnes visées évaluent la gravité de la menace elles-mêmes et prennent elles-mêmes des précautions, par exemple en déménageant (ibid.). Une codirectrice de l'Afghanistan Analysts Network (AAN), organisation de recherche indépendante et à but non lucratif dont la mission consiste à fournir des études et des analyses aux décideurs, journalistes, universitaires et spécialistes du développement travaillant en Afghanistan (AAN s.d.), affirme d'ailleurs que

[traduction]

[l]es gens qui reçoivent des menaces peuvent généralement s'adresser aux autorités s'ils connaissent quelqu'un [dans ce milieu]. Une variété de facteurs, comme les relations personnelles et la position de la personne menacée, déterminera si les autorités réagiront à la menace ainsi que, le cas échéant, la manière dont elles le feront, mais, bien souvent, les gens sont abandonnés à leur sort et doivent se protéger eux-mêmes (ibid. 22 janv. 2015).

Le représentant de l'AIHRC a aussi expliqué que le signalement d'une lettre de nuit peut dépendre de l'endroit où habite une personne : les gens vivant dans une grande ville où la sécurité est meilleure le signalent, tandis que ceux qui résident dans une région où ils sont [traduction] « vulnérables » sur le plan de la sécurité ou où le gouvernement ne maîtrise pas la situation s'abstiennent (17 janv. 2015). D'après l'analyste indépendant, des policiers locaux peuvent avoir des [traduction] « liens avec des groupes insurgés », ce qui signifie qu'une personne ayant reçu des menaces de la part des talibans qui décide de le signaler « pourrait même aggraver la situation » (9 janv. 2015). Parmi les sources qu'elle a consultées dans les délais fixés, la Direction des recherches n'a pas trouvé d'autres renseignements allant dans le même sens.

8. Conséquences découlant de la réception d'une lettre de nuit

Au dire de l'analyste indépendant, [traduction] « l'utilisation, le style et l'intention » des lettres de nuit varient en fonction du contexte (analyste indépendant 9 janv. 2015). Il a précisé sa pensée de la façon suivante :

[traduction]

différents groupes locaux de talibans prendront des décisions et agiront de manière différente, peut-être en ne suivant qu'approximativement les politiques des talibans et en étant poussés en grande partie par les circonstances propres à l'endroit où ils opèrent. Ils agiront différemment s'ils sont capables de mener leurs activités assez librement dans une zone largement protalibane plutôt que s'ils doivent être plus secrets et agressifs dans une zone perçue comme antitalibane (ibid.).

Par ailleurs, d'après des commentaires d'un groupe indépendant de recherche stratégique de Kaboul qu'a recueillis le Service danois de l'immigration, l'utilisation de lettres de nuit est marquée par des variations régionales; en effet, le groupe de recherche a expliqué que certaines cibles [traduction] « s'attendent normalement » à recevoir de nombreuses lettres d'avertissement avant qu'une mesure soit prise contre elles, tandis que, dans d'autres cas, des agressions physiques et des meurtres sont commis sans que n'aient été remises des lettres d'avertissement au préalable, ou alors des cibles peuvent être invitées à se défendre devant une cour des talibans (Danemark mai 2012, 32).

D'après le Minority Rights Group International (MRG), les lettres de nuit sont [traduction] « suivies de véritables actes de violence et, dans certains cas, de meurtres », ce qui oblige les destinataires - par exemple des femmes travaillant dans le milieu politique ou la sphère publique - à quitter leur emploi ou à composer avec les risques pour la sécurité de leur famille (juill. 2011, 139). De même, le professeur a expliqué que les menaces proférées dans des lettres de nuit sont [traduction] « prises au sérieux » par les cibles afghanes, et l'une des conséquences pour avoir ignoré une telle lettre est la mort (19 janv. 2015). Le Service danois de l'immigration a signalé que, d'après des renseignements provenant de plusieurs sources à Kaboul en 2012, les conséquences pour avoir ignoré des lettres de menaces comprennent entre autres la mort ou [traduction] « l'élimination physique », l'enlèvement ou « l'enlèvement contre rançon », le détournement de véhicule, les voies de fait ou l'agression physique et la torture (Danemark mai 2012, 31). L'AIHRC a informé le Service danois de l'immigration de l'existence de [traduction] « divers degrés d'intimidation » et du fait que des meurtres peuvent être commis dans certains cas alors que, dans d'autres, « les voies de fait se limitent à un passage à tabac, ou encore rien ne se passe » (ibid.).

Le HCR a informé la mission d'enquête du Service danois de l'immigration du fait que l'intimidation et les menaces continues des talibans peuvent mener à [traduction] « l'élimination physique » si les avertissements sont ignorés et que les menaces « seront la plupart du temps répétées jusqu'à ce que la victime soit réduite au silence et qu'elle obéisse aux ordres » (ibid.). De même, l'analyste indépendant a affirmé que les lettres de nuit contiennent des [traduction] « menaces de sanctions qui se concrétisent souvent. La réception de telles lettres [...] peut terroriser une localité et lui causer beaucoup de stress » (analyste indépendant 9 janv. 2015). La même source a écrit que, bien que les conséquences pour avoir ignoré une lettre de nuit dépendent de [traduction] « circonstances précises [...], les menaces proférées sont bien souvent exécutées » et que des personnes peuvent être tuées; autrement, comme le précise la source, « les insurgés perdraient vite toute crédibilité » (ibid.). Les membres de la famille des personnes ciblées font aussi souvent l'objet d'intimidation (Danemark mai 2012, 31; RFE/RL 21 nov. 2012) et de menaces de mort (ibid.).

Des sources font état du fait que les insurgés continuent à cibler des travailleurs humanitaires et à s'en prendre à eux (Freedom House 2014; É.-U. 27 févr. 2014, 18), de même qu'à des employés du gouvernement (ibid.). Freedom House signale que l'année 2013 a été marquée par [traduction] « trois fois plus d'agressions mortelles » contre des membres du personnel d'ONG, le nombre de décès s'élevant à au moins 36, ainsi que par une « terrible » augmentation du nombre d'enlèvements et de rapts (2014). D'après un rapport de juillet 2014 publié par la Mission d'assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA), des assassinats ciblés ont fait 428 victimes civiles (247 décès et 158 blessés), dont 95 p. 100 ont été attribués à des [traduction] « éléments antigouvernementaux »; les personnes décédées comprenaient des anciens de tribus, des représentants civils du gouvernement et du corps judiciaire ainsi que des mollahs (Nations Unies juill. 2014, 21). Pour de plus amples renseignements sur la situation des citoyens afghans travaillant pour des ONG, des organisations internationales et des écoles, voir la Réponse à la demande d'information AFG103924.

9. Lettres contrefaites

D'après des sources, des lettres de menaces contrefaites peuvent être obtenues (analyste indépendant 9 janv. 2015; The Times 16 févr. 2013) ou [traduction] « fabriquées sur mesure », moyennant un certain prix (ibid.). Les renseignements fournis au Service danois de l'immigration par CPAU font état du fait [traduction] « [qu']il est assez facile de créer de toutes pièces une lettre de nuit censément de la part des talibans » et que, pour différentes raisons, des gens « prétendent » à l'occasion qu'ils sont des talibans afin d'envoyer des menaces dans une lettre de nuit ou un message texte (Danemark mai 2012, 31). Selon un article paru dans le Times, on a signalé des cas de [traduction] « gouverneurs de districts fantômes » des talibans qui ont été payés environ 260 livres [486 $CAN] pour produire des lettres de nuit et on a affirmé que « des lettres moins officielles fournies par des contrefacteurs entreprenants » peuvent coûter jusqu'à trois fois ce montant (The Times 16 févr. 2013). Il est également écrit dans le Times qu'en réponse à de telles lettres, les dirigeants talibans ont ouvert une enquête, qu'ils ont fait savoir que les auteurs seraient punis en vertu de la charia pour atteinte au droit d'auteur, et que des sanctions plus sévères seraient réservées aux insurgés talibans pris à forger ces lettres (ibid.).

9.1 « Authentification » des lettres de nuit

Le BEA a écrit dans sa conclusion à une analyse des lettres de nuit afghanes [traduction] « [qu']il est impossible de dresser une liste des caractéristiques essentielles qui font d'un document une lettre de nuit authentique produite par les talibans, comme il est impossible de définir leur apparence[;] il est en outre très difficile de distinguer une lettre authentique rédigée par les talibans d'une lettre contrefaite » (UE déc. 2012, 24). De même, l'analyste indépendant a déclaré que les documents censés provenir de l'Afghanistan, y compris les lettres de nuit, sont [traduction] « difficiles à authentifier », même si on dispose de « tous les renseignements permettant de comprendre les circonstances dans lesquelles a été produit et délivré » le document (9 janv. 2015). Selon le professeur, [traduction] « [l']authentification » de lettres de nuit est difficile (professeur 19 janv. 2015). Il a observé dans les lettres de nuit des variations quant aux logos des talibans et constaté que certaines sont imprimées de manière professionnelle alors que d'autres sont manuscrites, soulignant toutefois que ces lettres sont [traduction] « souvent signées par un chef religieux local », ce qui est un « bon signe de l'authenticité » de la lettre (ibid.).

Au dire de l'analyste indépendant, les problèmes auxquels on doit habituellement faire face lorsqu'on tente d'authentifier les documents afghans en général, et les lettres de nuit en particulier, sont les suivants :

[traduction]

piètre qualité des documents, non-utilisation d'ordinateurs et du matériel et technologies de l'information connexes, facilité de contrefaire des documents ou d'en fabriquer de toutes pièces, documents manuscrits difficiles à lire, méthodes de travail différentes, entreposage de données ou de dossiers déficient (ou absent), timbres ou attestations caducs (ou non existants), grande variété de papier à lettres utilisé, rédacteurs sans instruction ou illettrés, coordination limitée entre les groupes/services (9 janv. 2015).

D'après le représentant de l'AIHRC, les sources [traduction] « [d']authentification » d'une lettre de nuit sont les unités du renseignement de la force policière et de l'armée et la Direction nationale de la sécurité (National Directorate of Security - NDS), qui doivent vérifier si le signataire de la lettre est un membre actif des talibans dans la région (17 janv. 2015). De l'avis du professeur, pour déterminer l'authenticité, il faudrait consulter les anciens du village pour avoir leur opinion, car ils connaîtraient la personne ciblée ainsi que les circonstances de l'affaire (19 janv. 2015). Le représentant de l'AIHRC a précisé que les difficultés liées à [traduction] « [l']authentification » d'une lettre de nuit tiennent entre autres à un manque de sécurité dans la région, à la vérification de l'existence du signataire de la lettre et au manque de coopération de la personne ciblée pour des « raisons personnelles » ou par « crainte de représailles de la part des talibans » (17 janv. 2015).

Selon des renseignements que CPAU a fournis au Service danois de l'immigration, les personnes qui reçoivent un message de menaces sur leur téléphone s'adressent à la compagnie de téléphonie mobile pour que soit retracé le numéro et identifié l'expéditeur (Danemark mai 2012, 31).

Cette réponse a été préparée par la Direction des recherches à l'aide de renseignements puisés dans les sources qui sont à la disposition du public, et auxquelles la Direction des recherches a pu avoir accès dans les délais fixés. Cette réponse n'apporte pas, ni ne prétend apporter, de preuves concluantes quant au fondement d'une demande d'asile. Veuillez trouver ci-dessous les sources consultées pour la réponse à cette demande d'information.

Notes

[1] Les publications du professeur sur l'Afghanistan et l'Asie du Sud ont paru dans une grande variété de revues à comité de lecture et de médias; le professeur mène toujours régulièrement des recherches sur le terrain en Asie centrale et du Sud (professeur 19 janv. 2015).

[2] Tous les renseignements qui suivent ont été fournis par l'analyste indépendant de la situation en Afghanistan dans la communication écrite qu'il a envoyée le 9 janvier 2015. Il possède une maîtrise en études des conflits et de la paix, décernée par l'Université de Malmö, en Suède, et mène des recherches sur l'Afghanistan depuis 2001. Il a déjà réalisé des études pour des organismes gouvernementaux du Royaume-Uni et de la Suède, mené des recherches sur la propagande et les communications des talibans et publié le fruit de celles-ci. Ses travaux ont entre autres été publiés dans les European Security Reviews et dans NATO Review.

[3] Le BEA est un organe de l'Union européenne (UE) qui [traduction] « agit comme centre d'expertise sur l'asile » et qui aide les États membres de l'UE à « s'acquitter de leurs obligations européennes et internationales en matière de protection des personnes dans le besoin » (UE s.d.).

Références

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International Crisis Group. 24 juillet 2008. Taliban Propaganda: Winning the War of Words? Rapport Asie no 158. [Date de consultation : 4 janv. 2015]

Killid Weekly. 29 mars 2014. « Violence Spirals Ahead of Polls ». (Factiva)

Minority Rights Group International (MRG). Juillet 2011. State of the World's Minorities and Indigenous Peoples 2011. Sous la direction de Joanne Hoare. [Date de consultation : 6 janv. 2015]

Nations Unies. Juillet 2014. Mission d'assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA). Afghanistan Midyear Report 2014: Protection of Civilians in Armed Conflict. [Date de consultation : 6 janv. 2015]

Pajhwok Afghan News. 8 mars 2013. Mahbob Shah Mahbob. « Hardliners Tighten Grip on Nangarhar University ». [Date de consultation : 7 janv. 2015]

Professeur, Naval Postgraduate School, Monterey, California. 19 janvier 2015. Communication écrite envoyée à la Direction des recherches.

Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE/RL). 7 décembre 2012. Frud Bezhan et Ahma Hanayish. « Fatal Afghan Shooting Highlights Risks for Female Health Workers ». (Factiva)

_____. 21 novembre 2012. Frud Bezhan. « Afghans Working with NATO-led Forces Fear for the Future ». [Date de consultation : 7 janv. 2015]

The Times. 16 février 2013. Jeremy Kelly. « Taleban Death Threats and Why People Are Desperate to Buy One ». (Factiva)

Union européenne (UE). Décembre 2012. Bureau européen d'appui en matière d'asile (BEA). Country of Origin Information Report: Afghanistan: Insurgent Strategies - Intimidation and Targeted Violence Against Afghans. [Date de consultation : 6 janv. 2015]

_____. S.d. Bureau européen d'appui en matière d'asile (BEA). « About Us ». [Date de consultation : 20 janv. 2015]

The Wall Street Journal (WSJ). 11 mars 2014. Nathan Hodge et Margherita Stancati. « Taliban Vow to Attack Voters Participating in Afghan Vote ». (Factiva)

Wired. 17 mars 2011. Spencer Ackerman. « Taliban Texts Terror to Afghan Phones ». [Date de consultation : 7 janv. 2015]

Autres sources consultées

Sources orales: Les organisations suivantes n'ont pas pu fournir de renseignements : Cooperation for Peace and Unity; Organisation internationale pour les migrations; Swedish Committee for Afghanistan.

L'organisation suivante n'a pas pu fournir de renseignements dans les délais voulus : Afghanistan – ambassade à Ottawa.

Les tentatives faites pour joindre les personnes ou les organisations suivantes dans les délais voulus ont été infructueuses : Afghanistan – Ministry of Interior Affairs, Ministry of Justice; Nations Unies – bureau du HCR en Afghanistan; Open Asia; professeur spécialiste des relations entre l'Afghanistan et le Pakistan, New York University.

Sites Internet, y compris : Afghan Islamic Press; Afghanistan – Government Media and Information Center, Ministry of Interior Affairs; Afghanistan Research and Evaluation Unit; Afghan Voice Agency; Afghan Zariza; Al Jazeera; Amnesty International; Ariana Television Network; Bakhtar News Agency; BBC; Deutsche Welle; ecoi.net; Eurasia.net; International NGO Safety Organisation; Khaama Press; National Radio Television of Afghanistan; Nations Unies – Haut Commissariat pour les réfugiés, RefWorld, ReliefWeb, Réseaux d'information régionaux intégrés (IRIN); The New York Times; Radio France internationale; Royaume-Uni – Home Office; Shahamet-english.com; The Times of Central Asia; TOLOnews.com.

Documents annexés

1. Combating Terrorism Center, United States Military Academy, West Point, New York. 9 mai 2009. « Taliban Night Letter for the People of Paktika Province - Original Language ». Traduction anglaise du Combating Terrorism Center. [Date de consultation : 20 janv. 2015]

2. Human Rights Watch. Juillet 2010. The "Ten-dollar Talib" and Women's Rights: Afghan Women and the Risks of Reintegration and Reconciliation, p. 8-13. [Date de consultation : 6 janv. 2015]

3. Human Rights Watch. Juillet 2006. « Taliban Night Letters from Ghazni », « Night Letter from Wardak » et « Night Letter from Kapisa ». Lessons in Terror: Attacks on Education in Afghanistan. Vol. 18, no 6(C), p. 53, 61, 68. [Date de consultation : 6 janv. 2015]

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