World Report 2011

Événements de 2010

Bien qu'en 2010, la Russie se soit montrée plus ouverte à la coopération internationale sur les droits humains, le climat général dans le pays demeure profondément hostile en la matière. Les engagements proclamés du président Dimitri Medvedev envers les droits humains et un État de droit ne se sont pas traduits par des mesures concrètes en faveur de la société civile. L'année 2010 a été marquée par de nouvelles attaques envers les défenseurs des droits humains et par l'impunité dont ont continué de bénéficier les auteurs de meurtres éhontés perpétrés en 2009.

Société civile

En dépit des affirmations répétées du Kremlin quant à l'importance de conditions de travail normales pour les ONG œuvrant dans le pays, les défenseurs des droits humains continuent d'être victimes de harcèlement et d'attaques, en particulier ceux qui militent pour mettre fin à l'impunité qui règne dans le Nord-Caucase.

Au mois de septembre, Oleg Orlov, président de l'association russe Memorial qui œuvre en faveur des droits humains, a fait face à un procès en diffamation, risquant jusqu'à trois ans de prison. Les charges reposaient sur les accusations portées par Oleg Orlov envers Ramzan Kadyrov, président de la Tchétchénie, le dénonçant comme politiquement responsable de l'assassinat en juillet 2009 de Natalia Estemirova, éminente chercheuse de l'association dans cette république russe. À ce jour, personne n'a été tenu pour responsable de ce meurtre. On ignore si l'enquête a examiné l'hypothèse d'une éventuelle implication ou complicité officielle dans ce crime.

Fin 2009, l'association a repris ses activités en Tchétchénie après une suspension de six mois suite au meurtre de Natalia Estemirova et aux menaces proférées à l'encontre d'autres membres de l'association. Sous la houlette du Comité contre la torture de Nizhny Novgorod, 12 organisations russes de défense des droits humains ont mis en place des groupes mobiles qui sont intervenus tour à tour en Tchétchénie tout au long de l'année 2010. Ces groupes aident l'association à enquêter sur les violations des droits humains perpétrées dans cette république, offrant une assistance juridique aux victimes.

En mai 2010, à l'occasion d'une rencontre avec les ONG intervenant dans le Nord-Caucase, le président Medvedev a demandé instamment aux autorités locales qu'elles coopèrent avec les organisations de la société civile. Néanmoins, Ramzan Kadyrov et d'autres fonctionnaires tchétchènes de haut rang ont persisté à faire des déclarations menaçantes au sujet des organisations de défense des droits humains. Lors d'un entretien télévisé en juillet, Ramzan Kadyrov a qualifié les défenseurs des droits humains et les activistes de Memorial d'« d'ennemis de l'État, ennemis du peuple et ennemis de la loi » sans que le Kremlin n'y trouve à redire.

Les activistes des droits humains dans la république du Daguestan, en particulier les Mères du Daguestan pour les droits humains, font toujours l'objet de menaces. En juin 2010, l'avocate défenseure des droits humains, Sapiyat Magomedova, a été gravement passée à tabac au poste de police de la ville de Khassaviourt. Bien qu'identifiés, les auteurs présumés n'ont pas été tenus pour responsables.

Les défenseurs des droits humains qui interviennent dans d'autres régions ont également été confrontés à du harcèlement et des attaques. En février 2010 Vadim Karastelev, avocat défenseur des droits humains dans la ville portuaire de Novorossiisk, a été placé en détention administrative pendant sept jours pour avoir organisé une manifestation de soutien à Alexeï Dymovsky, ancien officier de police dont la vidéo diffusée sur YouTube dénonçait la corruption des forces de l'ordre, attirant l'attention du pays tout entier. Le lendemain de sa libération, des inconnus rouaient violemment de coups Vadim Karastelev, le blessant grièvement.

Face à l'indignation publique envers les violences policières et au non respect des lois, le gouvernement russe s'est engagé à réformer le système en profondeur. Toutefois, le projet de loi sur la police présenté en 2010 est loin de remplir les conditions pour prévenir toute violation des droits humains par les forces de l'ordre et garantir le contrôle de la police par les autorités civiles.

En mai 2010, un tribunal de la région de Sverdlovsk a condamné Alexeï Sokolov, avocat défenseur des droits des prisonniers, originaire d'Ekaterinburg, à cinq ans de prison sur la base d'accusations fallacieuses après un procès inéquitable. Il semble que les charges retenues contre lui l'aient été en guise de représailles dues à son travail mettant en évidence les abus perpétrés par la police au sein des prisons.

Tout au long de 2010, la police a continué de disperser, parfois violemment, les rassemblements publics organisés dans les grandes villes, le 31ème jour de chaque mois qui compte un 31ème jour, pour défendre le droit de rassemblement public garanti par l'Article 31 de la Constitution russe. L'année 2010 a commencé avec la détention de Ludmilia Alexeyeva, éminente défenseuse des droits humains, alors âgée de 82 ans, qui avait pris part à un rassemblement à Moscou la veille du nouvel an. À deux reprises en 2010, l'activiste de premier plan Lev Ponomarev, a été mis en détention administrative pour avoir participé à de tels rassemblements.

Malgré tout, une amélioration s'annonçait à l'automne 2010 avec l'autorisation par les autorités d'un rassemblement le 31 octobre, réunissant au moins 1 000 manifestants pacifiques sur la place Triumfalnaya dans le centre de Moscou. Cette avancée est considérée comme une grande victoire pour le mouvement de la société civile russe et ses soutiens étrangers. Fort à propos, les autorités consentaient à ce rassemblement alors même que la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) fustigeait Moscou de manière cinglante dans son jugement Alekseev contre l'État russe, déclarant que les autorités russes avaient refusé à maintes reprises aux activistes le droit d'organiser des marches homosexuelles, caractérisant ainsi une violation de la liberté de réunion.

En juin, un tribunal de Moscou a jugé les deux organisateurs de l'exposition « Forbidden-Arts 2006 (œuvres interdites) », Yuri Samodurov et Andrei Yerofeyev, coupables d'incitation à la haine religieuse. Le tribunal a affirmé que les œuvres d'art exposées contenaient des images de nature à offenser les chrétiens, condamnant Samodurov et Yerofeyev respectivement à une amende de 200 000 et 150 000 roubles (6 452 et 4 839 USD).

Les ONG et les médias demeurent exposés aux dérives de la loi contre l'extrémisme à laquelle les autorités ont recours pour réduire au silence les critiques. En juillet 2010, de nouvelles dispositions accordant plus de pouvoir au service fédéral de sécurité (FSB) ont été adoptées, autorisant ce dernier à avertir les individus, les organisations et les médias. Ces avertissements sont de nature à enjoindre les individus ou organisations à mettre fin à des activités considérées par le FSB comme réellement ou potentiellement extrémistes. En septembre 2010, le ministère public russe à Moscou a ordonné une série sans précédents d'enquêtes approfondies sur les ONG financées à l'étranger.

 

Le Nord-Caucase

L'insurrection islamiste qui fait rage dans les républiques du Nord-Caucase est demeurée active en 2010. Dans leur volonté de durcir les mesures de lutte, les services de police et de sécurité continuent de perpétrer des actes graves de violation des droits humains fondamentaux, comme la torture, les disparitions forcées et les assassinats extrajudiciaires.

L'emploi de méthodes anti-insurrectionnelles illégales aggravé par le climat d'impunité associé aux abus, est contraire aux intérêts des peuples de Tchétchénie, d'Ingouchie et du Daguestan, et ne cesse de creuser le fossé entre la population et le gouvernement. Le 29 mars, pour la première fois depuis 2004, la capitale russe a été le théâtre d'un grave attentat. Deux kamikazes originaires du Daguestan se sont fait exploser dans le métro moscovite à l'heure de pointe du matin, tuant 40 personnes et en blessant des dizaines.

En dépit du fait que leurs activités de surveillance sont sévèrement entravées par des questions de sécurité, les groupes d'activistes de droits humains n'ont jamais cessé d'apporter des preuves documentées d'enlèvements et d'assassinats extrajudiciaires au cours de l'année 2010.

Le gouvernement tchétchène a cyniquement adopté une politique de punition collective. En 2010, des hauts fonctionnaires tchétchènes, à commencer par le président Kadyrov, ont publiquement déclaré que les familles des insurgés devaient s'attendre à être punies, à moins que leurs parents ne se rendent. Outre les ordres directs de destruction du domicile des familles des insurgés et l'application d'autres punitions collectives, de telles déclarations n'ont fait qu'encourager les forces de l'ordre et de sécurité à se rendre coupables d'agissements illicites.

L'année 2010 a vu également s'intensifier les violations des droits des femmes en Tchétchénie. Les femmes non voilées sont harcelées dans la rue. Sans ambigüité, les autorités locales laissent faire les attaques de femmes non voilées dans la rue avec des pistolets à balles de peinture, dont au moins une s'est traduite par l'hospitalisation d'une femme au mois de juin. Lors d'un entretien télévisé en juin, Ramzan Kadyrov a déclaré que ces femmes méritaient un tel traitement du fait de leur tenue incorrecte. Les autorités tchétchènes interdisent aux femmes qui refusent de porter le voile de travailler dans le secteur public ou de fréquenter l'école ou l'université.

En république d'Ingouchie, en dépit de l'engagement pris par le Président Yunus-Bek Yevkurov de respecter l'État de droit et d'améliorer les conditions d'intervention des ONG qui œuvrent en faveur des droits humains, les services de police et de sécurité continuent de perpétrer des enlèvements, de torturer et d'assassiner. D'après Memorial, 12 civils ont été enlevés, 3 civils ont fait l'objet de disparitions forcées et 11 civils ont été exécutés de manière extrajudiciaire entre janvier et septembre 2010.

L'année 2010 a été marquée au Daguestan par de nouvelles attaques d'insurgés ainsi que par de nouveaux enlèvements de résidents perpétrés par des fonctionnaires de police et de sécurité. La désignation de Magomedsalam Magomedov comme nouveau Président de la république début 2010 n'a eu aucune incidence notoire sur la situation des droits humains et la sécurité au Daguestan.

Au Daguestan, les musulmans salafistes sont particulièrement exposés aux persécutions, les autorités les suspectant de connivence avec les insurgés. Au mois de mai, sept musulmans d'obédience salafiste ont été détenus arbitrairement et roués de coups par les fonctionnaires de police du district de Kazbekovsky. Une victime est morte de ses blessures. La torture policière sévit de manière endémique bien en deçà des pratiques anti-insurrectionnelles illégales. En juillet, la police a arrêté un jeune garçon de 14 ans dans le village de Khotoba au motif qu'il était suspecté de vol, et l'a passé à tabac, entraînant de graves blessures et la perte d'audition au niveau d'une oreille.

 

Coopération avec la Cour européenne des droits de l'homme

En janvier 2010, après des années d'attente, la Russie a ratifié le Protocole 14 à la Convention européenne des droits de l'homme, devenant ainsi le dernier État membre du Conseil de l'Europe à l'approuver. Le Protocole 14 vise à simplifier la procédure de recevabilité des dossiers au niveau de la CEDH et à renforcer les mécanismes d'application du Conseil des Ministres de l'Union européenne.

À ce jour, la CEDH a rendu plus de 150 jugements condamnant la Russie pour de graves violations des droits humains en Tchétchénie. La Russie continue de verser aux victimes les indemnités exigées en oubliant d'appliquer le fond des jugements, à savoir l'instruction d'enquêtes et l'inculpation des auteurs des crimes. Les autorités russes se sont également abstenues de prendre les mesures nécessaires pour empêcher que ne se reproduisent de telles violations, de nouvelles plaintes étant déposées chaque année auprès de la CEDH. La non application complète des attendus d'un jugement constitue un déni de justice envers les victimes, ce qui renforce le climat d'impunité en Tchétchénie.

Impunité liée aux violations des lois de la guerre

Plus de deux ans après la fin du conflit entre la Russie et la Géorgie provoqué par leurs visées respectives en Ossétie du Sud, les autorités russes n'ont toujours pas diligenté d'enquête exhaustive quant à déterminer les responsabilités pour violations des droits humains et humanitaires par leurs forces.

En Géorgie, les forces russes ont utilisé des bombes à fragmentation dans des zones peuplées par des civils, provoquant des morts et des blessures parmi la population. La Russie a également lancé des attaques à la roquette sans discernement sur des zones habitées, faisant de nombreuses victimes. Les forces russes en Géorgie n'ont pas su protéger les populations civiles des zones placées sous leur contrôle, empêchant ainsi les autorités géorgiennes de faire régner l'ordre dans ces zones.

Questions de santé et VIH/SIDA

En 2010, le gouvernement russe a persisté dans sa violation des droits de centaines de milliers de toxicomanes en leur refusant l'accès à un traitement efficace de leur toxicomanie et à la prévention du VIH. En 2009, la décision du gouvernement de cesser de subventionner les services de prévention du VIH a entraîné la fermeture de 42 centres de soins en août 2010. D'autres sites continuent de fonctionner grâce à une extension de subvention du fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et la malaria, ces programmes étant toutefois voués à disparaître. Le refus du gouvernement de prendre en charge le traitement des toxicomanes par méthadone ou buprénorphine expose les usagers de drogues par injection à un grave danger d'infection par le VIH. Des lois inutilement restrictives de lutte contre les stupéfiants limitent excessivement l'accès à la morphine pour les patients qui souffrent de douleurs dues à un cancer, au SIDA ou à d'autres pathologies, en condamnant ainsi un grand nombre à d'intenses souffrances.

 

Droits des travailleurs migrants

La Russie compte entre 4 et 9 millions de travailleurs migrants, plus de 80 pour cent d'entre eux étant originaires des anciennes républiques de l'Union soviétique. Le secteur du bâtiment occupe quarante pour cent des travailleurs migrants qui sont confrontés à des violations de leurs droits, allant jusqu'à la confiscation des passeports, l'absence de contrats de travail, le non-paiement ou le paiement tardif des salaires, et des conditions de travail dangereuses. Les travailleurs migrants ne disposent que de peu de recours. Les changements législatifs adoptés au mois de mai renforcent le lien qui unit les travailleurs étrangers à leurs employeurs, ce qui peut décourager un travailleur de quitter un employeur abusif. D'autres changements législatifs ont abouti à l'instauration d'un système destiné à simplifier l'emploi légal de travailleurs par des personnes privées, comme les assistantes maternelles, les sous-traitants et d'autres emplois non commerciaux.

Pour mener à bien les gigantesques projets de construction nécessaires à la tenue des Jeux Olympiques d'hiver de 2014 à Sotchi en Russie, les employeurs embauchent aujourd'hui un grand nombre de travailleurs migrants originaires d'autres contrées de la Russie et d'autres pays. Certains travailleurs ont signalé l'absence de contrats de travail, de non-paiements ou d'importants retards de versement des salaires, ainsi que l'attribution de logements de qualité médiocre par les employeurs.

 

Expropriation de biens fonciers et expulsions en vue des J.O. de 2014

Pour laisser la place aux Jeux Olympiques d'hiver de 2014, des centaines de familles vivant à Adler dans la région de Sotchi s'apprêtent à perdre leurs biens fonciers par expropriation de l'État, voire pour certains leurs moyens de subsistance, petits hôtels et modestes exploitations agricoles. Bien que dans la plupart des cas, le gouvernement de la région ait promis une compensation, de sérieuses inquiétudes subsistent quant aux montants et aux procédures de compensation, ainsi qu'aux recours officiels.

 

Acteurs internationaux

Bien qu'en 2010, la Russie ait collaboré à certains efforts visant à améliorer la situation des droits humains, les partenaires étrangers de ce pays n'ont pas déployé d'efforts suffisants pour encourager de telles réformes.

En février, après deux années de négociations qui étaient restées dans l'impasse, la Russie a autorisé une délégation du parlement du Royaume-Uni à conduire une mission d'enquête en Tchétchénie.

En mars, Dick Marty, rapporteur de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) sur les droits humains dans le Nord-Caucase, a effectué une visite attendue de longue date, en Tchétchénie, en Ingouchie et au Daguestan. Le rapport critique élaboré ensuite par Dick Marty sur le manque de recours juridiques dont disposent les victimes de violations des droits humains dans cette région a été adopté à l'unanimité lors de la session de juin de l'APCE. Il s'est agi du premier vote de la délégation russe en faveur d'un rapport critique sur le Nord-Caucase.

L'Union européenne a organisé avec la Russie deux consultations sur les droits humains, celles-ci constituant un forum riche en débats sur la question. Le manque de mécanismes de contrôle, le détachement par rapport aux rencontres politiques de haut niveau et l'absence d'implication de la Russie au plus haut niveau nuisent cependant à une véritable efficacité. L'UE a poursuivi ses négociations sur l'Accord de partenariat et de coopération avec la Russie, parvenu à échéance en 2007.

Les États-Unis et la Russie ont mis en place un groupe de travail sur la société civile à l'attention des représentants du gouvernement et des experts de la société civile, afin que les deux pays échangent autour de ces thématiques. Le groupe de travail s'est réuni à Washington au mois de janvier, attirant l'attention sur la corruption et les droits des enfants. Il s'est ensuite retrouvé au mois de mai dans la ville russe de Vladimir pour débattre de la réforme des prisons et des flux migratoires. S'agissant d'une excellente plate-forme de discussions, ces rencontres n'ont cependant abouti à aucune décision concrète à ce jour.

Poursuivant son analyse préliminaire du conflit armé de 2008 entre la Russie et la Géorgie à propos de l'Ossétie du Sud, le bureau du procureur de la Cour pénale internationale a envoyé des délégations en Russie en mars 2010 et en Géorgie au mois de juin afin de recueillir des informations complémentaires sur les recours et les procédures internes.

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