En Tunisie, la télévision publique est le dernier terrain de bataille; Des journalistes se battent pour y préserver une diversité d’opinions

Depuis son coup de force de juillet, le président tunisien Kais Saied a entrepris de démanteler les contre-pouvoirs institutionnels ; et la télévision d’État est une cible évidente.

Avant la révolution de 2011 qui a évincé le président autoritaire Zine el-Abidine Ben Ali, la télévision d’État ne débitait que la ligne du pouvoir et bannissait les intervenant·e·s qui s’en démarquaient. Puis, la chaîne publique Al Wataniya s’est mise à diffuser des émissions invitant un large panel de personnalités politiques et de commentateur·trice·s, y compris des islamistes, des gauchistes et des défenseur·e·s des droits humains – autant de personnes qui autrefois étaient plus susceptibles d’être en prison ou en exil qu’à la télévision.

Le 25 juillet 2021, Saied a suspendu le Parlement, limogé le Premier ministre et annoncé son intention de contrôler la Justice. Le lendemain, la police a expulsé la chaîne d’informations panarabe Al Jazeera de ses locaux de Tunis. Le 28 juillet, le président a remplacé le directeur d’Al Wataniya.

Depuis, Saied a suspendu une bonne partie de la constitution postrévolutionnaire et dissous le Conseil supérieur de la magistrature, une instance chargée de protéger l’indépendance de la Justice. S’il émet un projet de décret-loi sur les associations, il mettra en péril la liberté dont les organisations indépendantes jouissaient depuis 2011.

Entretemps, la feuille de route de Kais Saied pour un retour à une gouvernance normale prévoit des « consultations nationales » sur l’avenir politique du pays, suivies d’un référendum constitutionnel et d’élections législatives, respectivement en juillet et décembre.

Depuis le mois d’août, les talk-shows d’Al Wataniya ont exclu presque tou·te·s les intervenant·e·s qui remettent ouvertement en question les choix du président. Ils n’ont invité aucune personne qui qualifie ses actions de « coup d’État » ou met en doute la pertinence des consultation nationales, qui ont court-circuité les institutions constitutionnelles en faveur d’un style prétendument de « démocratie directe » voulu par Saied.

Heureusement, les Tunisien·ne·s peuvent toujours entendre des points de vue d’opposition à la radio publique et sur plusieurs chaînes de télévision privées. Mais à la télévision d’État, certain·e·s employé·e·s sont en colère de voir un des accomplissements de la révolution s’effriter. Ils et elles brandissent la charte éditoriale de la télévision tunisienne de 2012, qui énonce que sa mission est de « répondre au droit des citoyens de disposer de médias libres et impartiaux [...], indépendamment de toute pression politique ou économique [...]. L’indépendance implique la liberté de choisir ses thèmes et ses invités sans aucune influence extérieure. »

Le 11 mars, le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) a menacé de lancer une grève des journalistes si l’État ne mettait pas fin à la censure et à la détérioration des conditions à Al Wataniya comme il le réclame.

Yassine el-Bahri, un caméraman d’Al Wataniya, également vice-président du SNJT, a déclaré : « Notre télévision est censée être publique, pas gouvernementale. »

Le combat pour préserver cette distinction est en train d’être mené.

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