Haïti : information sur les exigences et la marche à suivre pour transférer des terres, y compris lorsque le propriétaire vit à l'étranger; information indiquant si des criminels ou des gangs criminels ont été impliqués dans l'acquisition illégale de terres, y compris par la force ou grâce à des documents frauduleux; information indiquant si les personnes lésées disposent de moyens légaux pour récupérer leurs terres (2017-juillet 2020) [HTI200285.F]

Direction des recherches, Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada

1. Contexte

Selon Véronique Dorner, membre du Laboratoire d’anthropologie juridique de l’Université de Paris 1 (É.-U. [2014a]), dans une présentation préparée pour l’Agence de développement international des États-Unis (United States Agency for International Development – USAID) dans le cadre d’une formation sur le régime foncier et les droits de propriété en Haïti offerte en 2014 (É.-U. [2014b]), il existe trois statuts de la terre en Haïti : le domaine public de l’État, le domaine privé de l’État et le foncier privé (Dorner 1er oct. 2014, 3). Les articles 1, 2 et 3 du décret du 22 septembre 1964 sur la fixation des loyers et fermage des biens du domaine privé de l’État précisent ce qui suit :

Article 1er. Le domaine National se divise en Domaine Public et Domaine Privé de l’État.

Article 2. Le Domaine Public est inaliénable et imprescriptible. Il consiste dans toutes les choses qui, sans appartenir à personne, sont, par une jouissance en commun, affectées au Service de la Société en général.

Il se compose des chemins, routes, rues, marchés et places publiques, des fleuves, rivières, lacs et étangs, des rivages, des ports et rades, îles ou îlots, des portes, murs, fossés, remparts de places de guerre et de forteresses, des portes, canaux, des monuments et souvenirs historiques et de toutes les portions du territoire qui ne sont pas susceptibles d’appropriation privée ni de prescription.

La manière de jouir du Domaine Privé est soumise à des Lois spéciales et aux règlements particuliers de police.

Les changements de destination susceptibles de transformer des parties du Domaine Public doivent être autorisés par une Loi.

Article. 3. Le Domaine Privé de l’État est imprescriptible. Il se compose notamment :

  1. Des Édifices et autres Biens meubles ou immeubles affectés ou réservés au Service du Gouvernement et des différentes Administrations Publiques;
  2. De tous les Biens vacants ou sans maître;
  3. Des Biens meubles ou immeubles qui reviennent à l’État à défaut d’héritiers au degré successible, ou de légataires institués ou d’époux suivants [ou survivants (Haïti 1964a)];
  4. Des lais et relais de la mer;
  5. Des parties du Domaine Public qui, par les changements de destination, rentrent dans le domaine Privé de l’État;
  6. Enfin, des Biens dont l’État s’est rendu propriétaire par acquisition, échange ou autrement (Haïti 1964b).

Dans le deuxième volume du Manuel des transactions foncières haïtiennes qu’il a rédigé afin « d'aider les propriétaires, les fermiers de l'État, les entrepreneurs, les locataires, les futurs propriétaires, les ONG à anticiper et prévenir des complications résultant de l'achat de propriétés afin d'éviter des conflits fonciers », le Groupe de travail sur le droit foncier en Haïti [1] signale que « [l]es biens fonciers du domaine privé de l’État peuvent être donnés à bail (loyer, fermage) par la Direction Générale des Impôts (DGI) dans les conditions fixées par le décret du 22 septembre 1964 » (Groupe de travail 1er déc. 2014, 8, 35). De même, Véronique Dorner signale qu’il est possible pour un individu d’avoir accès à la terre appartenant au domaine privé de l’État au travers du fermage ou si l’État donne la terre à un individu (Dorner 1er oct. 2014, 7). La même source ajoute qu'un terrain foncier privé peut être transféré au domaine privé de l'État lorsqu'il est considéré comme « vacan[t] et sans maître » ou par une déclaration d’utilité publique (Dorner 1er oct. 2014, 5). De même, le premier volume du Manuel des transactions foncières haïtiennes signale « [qu’un] bien peut être exproprié par l’État pour cause d’utilité publique » (Groupe de travail 26 juin 2012, 17).

Le document de synthèse nationale des résultats du recensement général de l’agriculture 2008/2009 identifie les principaux statuts juridiques des terrains en Haïti comme étant les suivants :

Titre/achat : Ce sont des terres achetées avec séparation formelle pour lesquelles l’exploitant dispose d’un titre individuel de propriété.

Titre/héritage : Ce sont des terres héritées avec séparation formelle pour lesquelles l’exploitant dispose d’un titre individuel de propriété.

Mineur/partage : Ce sont des terres héritées qui sont partagées sans aucun acte officiel entre les personnes concernées.

Mineur/collectif : Ce sont des terres héritées qui ne sont pas partagées (terres en indivision). Chaque héritier concerné détient le droit de travailler ces terres.

Terre de l’église : Terre léguée par une personne physique ou morale à une fondation à caractère religieux.

État : Toute terre à vocation agricole et qui est propriété de l’État. La tutelle de cette terre est soit assurée directement par le Services de Domaine de la Direction Générale des Impôts, soit confiée à d’autres organismes d’État.

Bien rural de famille : Portion de terre mise par l’État à la disposition de particuliers vivant en communauté aux fins d’exploitation uniquement (colonies agricoles).

Non déclaré : Cette classification est utilisée lorsque l’exploitant est dans l’impossibilité de préciser le statut juridique de la terre qu’il exploite. Cette classification ne sera utilisée qu’en dernier recours après avoir demandé des précisions à l’exploitant ou à d’autres membres du ménage (Haïti oct. 2012, 201).

Dans sa présentation, Véronique Dorner signale que des terres dont le propriétaire détenait initialement le titre « basculent vers la propriété "informelle" [ne correspondant plus aux titres de propriété existant] » lorsqu’il y a par exemple des ventes non formalisées, des héritages partagés non officiellement ou une contestation de vente de terres héritées (Dorner 1er oct. 2014, 9). Dès lors, la même source souligne « [qu’en] milieu rural comme en milieu urbain, de très nombreuses personnes se considérant comme propriétaires sont dans l’incapacité de prouver leurs droits sur la parcelle qu’[elles] occupent » (Dorner 1er oct. 2014, 9). Elle ajoute qu’en ce qui concerne le domaine privé de l’État, il est possible que « des fermiers depuis plusieurs générations, ne payant plus [les droits] depuis longtemps [sont quand même] persuadés d’[en] être propriétaires » (Dorner 1er oct. 2014, 10). De même, dans un article sur la situation foncière en Haïti, Geert van Vliet, affilié au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) en France, et ses coauteurs soulignent que des « régulations informelles » consistant en des us et coutumes viennent réguler l’accès à la terre lorsque des transactions foncières ne passent pas devant un notaire, « ce qui n’exclut pas les "bouts de papiers signés" » (van Vliet, et al. janv. 2017, 10). Dans le premier volume de son Manuel des transactions foncières haïtiennes, le Groupe de travail sur le droit foncier en Haïti mentionne également « [qu’]il n’est pas rare que le vendeur d’un terrain n’ait aucun titre légal pour ce terrain. Dans le cas d’une vente informelle, ceci accroît le risque de conflits sur la propriété à l’avenir » (Groupe de travail 26 juin 2012, VI, VIII).

2. Processus de vente légale d’une propriété foncière

Dans une communication écrite envoyée à la Direction de la recherche, un avocat de Port-au-Prince qui est également membre de la Faculté des sciences juridiques et politiques de l'Université Quisqueya à Port-au-Prince a fourni les détails suivants :

Pour la vente d’un terrain, les règles suivantes doivent être appliquées. D’abord, le terrain devra être mesuré par les soins d’un arpenteur (géomètre expert). Le vendeur signe une promesse de vente à l’acheteur pour permettre à ce dernier d’obtenir le financement auprès d’une banque. Le vendeur dépose ses titres de propriété auprès d’un notaire public. Les deux parties signent l’acte de vente. L’acte de vente est par la suite enregistré aux frais de l’acheteur et par les soins du notaire auprès du Bureau de la conservation foncière (avocat 25 juin 2020).

Selon le volume 1 du Manuel des transactions foncières haïtiennes, il est possible de vendre légalement un terrain soit par un acte sous-seing privé ou par un acte authentique (Groupe de travail 26 juin 2012, 2). Parmi les sources qu’elle a consultées dans les délais fixés, la Direction des recherches n’a pas trouvé d’autres renseignements allant dans le même sens. La source définit ces procédés de la manière suivante :

  • Vente par un acte sous-seing privé : la vente n’est pas conclue par l’intermédiaire d’un notaire et constitue un accord entre deux personnes. Elle ne suit pas des formalités prévues par la loi, mais elle comprend parfois des étapes d’une procédure de vente officielle, comme la promesse de vente et l’arpentage. La vente peut à l’occasion être signée devant un avocat ou un juge de paix. Afin d’être reconnu légalement, l’acte de vente doit être « enregistré et transcrit pour être opposable aux tiers »;
  • Vente par acte authentique : l’acte de vente est dressé par un notaire et doit obéir aux conditions prévues par la loi. Il doit être enregistré à la Direction de l’enregistrement et de la conservation foncière de la DGI dans la commune où le bien vendu se trouve et « [l]a transcription doit se faire au Bureau de la Conservation Foncière et des Hypothèques rattaché au Tribunal civil duquel relève la commune où se situe le bien ». L’acte authentique est valide dès sa signature devant le notaire (Groupe de travail 26 juin 2012, 2).

La même source ajoute que la vente par acte authentique comprend quatre étapes majeures : la promesse de vente, l’arpentage, l’acte de vente authentique ainsi que l’enregistrement et la transcription de l’acte de vente après le paiement des droits et taxes de la DGI (Groupe de travail 26 juin 2012, 4). Le manuel précise que l’étape de l’arpentage consiste en l’arpentage du terrain suivi de la rédaction du certificat d’arpentage par l’arpenteur tandis que l’étape de l’acte de vente authentique comprend « [la] vérification des titres, [la] compilation des documents pour la vente, [la] rédaction de l’acte de vente [et la] collection des frais et honoraires par le notaire » (Groupe de travail 26 juin 2012, 4). A la dernière étape, « [le n]otaire soumet l’acte de vente à la DGI pour enregistrement et transcription et [il] paie les frais et taxes à la DGI » (Groupe de travail 26 juin 2012, 4). Selon la même source, l’étape de l’arpentage (d’une durée de 3 à 12 mois) et de l’acte de vente authentique (d’une durée de 10 jours à 5 mois) peuvent se faire simultanément (Groupe de travail 26 juin 2012, 4). La source signale que l’étape de l’enregistrement et de la transcription de l’acte de vente peut prendre de 3 à 18 mois (Groupe de travail 26 juin 2012, 4).

D’après le Miami Herald, un journal de Floride, les registres fonciers haïtiens ne sont pas informatisés (Miami Herald 11 mai 2020).

2.1 Personne vivant à l’étranger

L’avocat a expliqué qu’afin de pouvoir effectuer une vente à partir de l’étranger, le propriétaire d’un terrain en Haïti doit se rendre au consulat haïtien le plus près de sa résidence et « rédiger un mandat par lequel il désigne la personne qui le représentera lors de la transaction. Le mandat devra bien identifier le terrain pour lequel le mandataire est doté d’un pouvoir » (avocat 25 juin 2020). De même, le premier volume du Manuel sur les transactions foncières haïtiennes précise qu’en plus des mêmes documents que doit produire une personne résidant en Haïti, une personne résidant à l’étranger doit fournir « [un] mandat ou procuration consulaire désignant un représentant local dans la vente » en s’adressant à un consulat haïtien ou au ministère des Affaires étrangères (Groupe de travail 26 juin 2012, 14).

Le consulat de la République d’Haïti à Montréal signale que, pour établir un mandat pour la vente d’une propriété en Haïti, la personne qui donne le mandat doit fournir les documents suivants :

  • un passeport valide;
  • les titres de propriété;
  • l’Acte d’arpentage;
  • les plans d’arpentage (Haïti s.d.).

Selon la même source, le mandat contient les informations suivantes : le prénom et nom du mandataire, le numéro de sa carte d’identification fiscale ou le numéro de sa carte d’identification nationale ou le numéro de son passeport, ainsi que l’adresse de son domicile (Haïti s.d.). La source ajoute que des frais de 45 $CAN sont demandés et qu’il faut compter un délai de deux jours ouvrables pour obtenir une procuration (Haïti s.d.).

3. Possibilité de fraude lors du transfert d’une propriété foncière

L’avocat a affirmé

[qu’]il existe des gangs criminels impliquant des notaires, des juges et des policiers qui s’évertuent à dépouiller d’honnêtes citoyens du fruit de leur travail. Ils obtiennent des jugements au termes de procès [où] les véritables propriétaires n’ont jamais été conviés et qui sont exécutés de manière extrêmement violente (avocat 25 juin 2020).

De même, le Bertelsmann Stiftung’s Transformation Index (BTI) 2020 pour Haïti, qui [traduction] « examine les transformations vers la démocratie et l’économie de marché ainsi que la qualité des pratiques de gouvernance dans 137 pays », rapporte que des ventes frauduleuses de titres de propriétés foncières ainsi que revendications de propriétés ancestrales sont la cause de conflits fonciers violents (Bertelsmann Stiftung 2020, 2, 22). Le Miami Herald explique de même qu’il est fréquent, en Haïti, que des propriétaires apprennent de façon inopinée que des personnes revendiquent des droits sur leur terre en présentant des documents selon lesquels ils auraient acquis la propriété avant eux (Miami Herald 11 mai 2020). La même source ajoute qu’il s’agit souvent de personnes [traduction] « tentant frauduleusement de revendiquer des droits de propriété » en se présentant devant un juge dont l’affaire est hors de son ressort territorial, qui délivre alors un avis de comparution à l’encontre du propriétaire (Miami Herald 11 mai 2020). Lorsque ce dernier, non informé de cet avis, ne se présente pas, un juge de paix accompagné de la police se rend à la propriété; la source ne précise toutefois pas dans quel but les autorités vont sur place (Miami Herald 11 mai 2020). Pour d’autres détails sur les conflits fonciers et sur la situation en matière de sécurité, veuillez consulter la réponse à la demande d’information HTI106116 publiée en juin 2018.

Selon un texte de Michèle Oriol, une sociologue spécialisée dans les questions foncières dirigeant le Comité interministériel d’aménagement du territoire (CIAT) en Haïti (Le Nouvel Observateur avec l’AFP 3 mars 2017), qui est publié sur le site de nouvelles Haïti Info, les spoliations [appropriations illégales de terres] sont peu médiatisées et les cas qui sont rendus publics par les médias ou les associations de défense des droits de la personne ne constituent « que la pointe émergée de l’iceberg » (Oriol 20 mai 2020). Michèle Oriol explique que la spoliation implique notamment

  • la mobilisation d’avocats, de juge de paix, de commissaires ou substitut de commissaire du gouvernement, de juge de première instance peu scrupuleux,
  • la complicité d’arpenteurs et de notaires commissionnés ou non pour les juridictions concernées,
  • la complicité active d’éléments de la police et d’hommes de main d’origine diverse mais souvent liés à ces autorités politiques (Oriol 20 mai 2020).

De même, dans un rapport sur une opération de la Brigade d’intervention contre l’insécurité foncière (BRICIF) [voir la section 3.1 de la présente réponse], le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH), une ONG haïtienne, et l’une de ses antennes, le Réseau sud-est de défense des droits humains (RESEDH), signalent que « certains juges, des commissaires du gouvernement, des arpenteurs, des notaires, des avocats et des agents de la PNH [Police nationale d’Haïti] s’organisent pour déposséder certaines familles de grandes étendues de terre, tant dans la capitale que dans les villes de province » (RNDDH et RESEDH 9 mai 2018, 6). Dans le même ordre d’idées, le Nouvel Observateur, en collaboration avec l’Agence France-Presse (AFP), signale que « [s]ur les réseaux sociaux, dans les médias et dans la rue, des parlementaires sont régulièrement associés à ces vols [de terrains] » (Le Nouvel Observateur avec l’AFP 3 mars 2017).

Des sources rapportent le cas d’un propriétaire d’un terrain à Vivy Mitchell, en banlieue de Port-au-Prince, dont le terrain est au cœur d’une dispute foncière depuis 2014 lorsque les membres d’une famille [voisine (Miami Herald 11 mai 2020)] ont affirmé avoir des droits sur sa propriété foncière (Miami Herald 11 mai 2020; Le Nouvelliste 6 mai 2020). Le 5 mai 2020, un groupe d’hommes comprenant des policiers sont arrivés sur le terrain accompagnés par un juge de paix et ont battu et attaché le propriétaire par les pieds et les mains (Miami Herald 11 mai 2020; Le Nouvelliste 6 mai 2020). Selon des sources, la décision de la cour sur laquelle était fondée l’intervention du juge de paix ne concernait pas la propriété mais plutôt un mur érigé entre celle-ci et celle de l’autre famille (Constant Haïti 6 mai 2020; Miami Herald 11 mai 2020). Les sources ajoutent que le juge de paix est intervenu hors de son ressort territorial (Constant Haïti 6 mai 2020; Miami Herald 11 mai 2020). Selon le Miami Herald, il aurait été suspendu (Miami Herald 11 mai 2020).

3.1 Transferts de terrains fonciers privés vers le domaine privé de l’État

Selon Michèle Oriol, l’insécurité foncière résulte aussi de « déclarations d’utilité publique mal conçues, mal gérées et source[s] non négligeable[s] de corruption dans l’appareil d’État » (Oriol 20 mai 2020). Le Miami Herald signale que [traduction] « [l]’État haïtien a aussi été accusé de s’approprier illégalement des terrains sans en compenser les propriétaires » (Miami Herald 11 mai 2020). Des sources rapportent le cas de la famille El-Saieh dont la propriété a été déclarée d’utilité publique par le gouvernement haïtien afin d’y construire une école (Miami Herald 11 mai 2020; Le Nouvelliste 14 févr. 2020). Selon Le Nouvelliste, le propriétaire actuel affirme n’avoir jamais reçu la déclaration d’utilité publique de la part de la DGI (Le Nouvelliste 14 févr. 2020).

3.2 Moyens légaux pour récupérer des terres ayant fait l’objet de transferts illégaux

Michèle Oriol signale qu’un décret sur les spoliations fournit une définition « ambiguë » de la spoliation (Oriol 20 mai 2020). Le décret érigeant les actes de spoliation en délit de 1983 prévoit ce qui suit :

Article 1.- Sera reconnu coupable du Délit de spoliation et puni d'un emprisonnement d'un an à trois ans et d'une amende de [m]ille gourdes [12 $CAN] à [s]ix [m]ille gourdes quiconque, par force ou violence, se sera emparé d'un immeuble, maison d'habitation, parcelle ou pièce de terre, d'où il a été expulsé en exécution d'un jugement définitif.

Le maximum sera prononcé si la spoliation a été commise en bande ou si les coupables étaient armés.

Article 2.- L'irrégularité des actes de mise en exécution d'un jugement n'est pas une excuse de ce délit (Haïti 1983).

Parmi les sources qu’elle a consultées dans les délais fixés, la Direction des recherches n’a pas trouvé de renseignements sur l’application de ce décret.

Dans le deuxième volume du Manuel sur les transactions foncières haïtiennes, on peut lire que lorsque des faux titres de propriété font l’objet d’une vente, « il est le plus souvent impossible de retrouver le vendeur et, de ce fait, il ne répondra guère à l’action en garantie » (Groupe de travail 1er déc. 2014, 54). Le Nouvel Observateur, en collaboration avec l’AFP, signale qu’il y a impunité dans le cas de « vols de terrains » et que « l’omerta prévaut » (Le Nouvel Observateur avec l’AFP 2 mars 2017).

Des sources signalent que le gouvernement a mis sur pied une unité au sein du ministère de la Justice et de la Sécurité publique pour protéger les propriétés foncières (avocat 25 juin 2020; VBI 13 juill. 2017). Le décret arrêtant la création de cette brigade énonce les détails suivants :

Article 1er.- Il est créé une Brigade d’Intervention Contre l’Insécurité Foncière, ci-après dénommée : « BRICIF ».

Article 2.- La BRICIF est placée sous l’autorité directe du ministre de la Justice et de la Sécurité publique.

Article 3.- Le siège principal de la BRICIF est au ministère de la Justice et de la Sécurité publique.

Article 4.- La BRICIF a pour mandat de :

  1. Recueillir les plaintes des victimes de dépossession ou de spoliation;
  2. Intervenir sur les lieux de crimes fonciers;
  3. Appréhender tous contrevenants et les déférer, si besoin est, dans le délai légal, par-devant la juridiction compétente;
  4. Faciliter toutes exécutions de décisions passées en force de chose souverainement jugée.

Article 5.- La BRICIF se compose comme suit :

  1. Le Secrétaire d’État à la Sécurité publique, représentant du ministre;
  2. Le Commissaire du Gouvernement près le Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince ou un substitut;
  3. Le Commissaire du Gouvernement près le Tribunal de Première Instance de la Croix-des-Bouquets ou un substitut;
  4. Le Responsable de la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ) ou son représentant;
  5. Des agents de différentes unités spécialisées de la Police Nationale d’Haïti.

Article 6.- La présence d’un juge de paix de la zone de conflit est requise dans toute intervention (Haïti 2017).

Cependant, l’avocat a mentionné que la BRICIF « ne semble pas dissuader les gangs armés qui opèrent en plein jour et à visière levée un peu partout dans le pays et même dans la zone de la capitale » (avocat 25 juin 2020). Michèle Oriol signale de son côté qu’après un incident en 2018 lors d’une opération de la BRICIF ayant blessé par balle un adolescent et au cours de laquelle les policiers de la BRICIF ont été désarmés par une « population sans armes », « on n’entendra plus parler de la BRICIF » (Oriol 20 mai 2020). Parmi les sources qu’elle a consultées dans les délais fixés, la Direction des recherches n’a pas trouvé d’autres renseignements allant dans le même sens. L’inspecteur de police responsable de la coordination de la BRICIF a été arrêté deux jours après l’incident (Oriol 20 mai 2020; VBI 1er mai 2018).

Concernant des recours judiciaires en cas de transfert illégal de terre, l’avocat a signalé que

[l]e véritable propriétaire [peut] engager un procès contre le ou les usurpateurs portant sur le droit de propriété afin de voir consacré son droit sur le terrain. Ce procès, en tenant compte des voies de recours, peut facilement s’étaler sur plus de cinq ans. Il faut alors noter qu’en raison de l’effet relatif des jugements, ce jugement n’a de valeur qu’entre les parties au procès; ce qui revient à dire que le propriétaire de bonne foi n’est pas à l’abri de menaces à son droit de propriété contre d’autres aventuriers (avocat 25 juin 2020).

Selon un rapport qui porte sur les impacts sociaux du Programme de sécurisation foncière en milieu rural mis en œuvre par le CIAT depuis 2012 et qui a été préparé par Global Land Alliance (GLA) [2] à la demande de la Banque interaméricaine de développement et dont les recherches ont été effectuées par deux consultants qui sont rendus en Haïti en mars 2017, les tribunaux de paix sont compétents dans les cas de « "trouble de possession" ou "possessoire" (l'exercice de fait d'un droit sur un bien immeuble) » (GLA juin 2017, 13). D’après la même source, les juges de paix encourageraient les résolutions à l’amiable, et pour cette raison, peu de jugements figureraient dans les registres (GLA juin 2017, 13). La source ajoute que le tribunal civil a compétence dans les litiges terriens de nature « pétitoire », soit « l'action de faire reconnaitre son droit en se prévalant de l'acte ou du titre de propriété », et que ces cas sont référés au Tribunal d’instance des Cayes (GLA juin 2017, 13). Le rapport souligne que selon le témoignage de juges de paix, un grand nombre de poursuites au tribunal civil sont abandonnées en raison des coûts élevés et du fait qu’un jugement n’est rendu qu’après deux à cinq ans « au minimum » (GLA juin 2017, 13).

Cependant, dans un document d’information sur les conflits fonciers en Haïti, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) rapporte que les examens de litiges fonciers « dans leurs dimensions pétitoire et possessoire » relèvent en première instance des tribunaux de paix (France 6 févr. 2017, 6). La source ajoute qu’il est possible d’appeler des jugements rendus par les tribunaux de paix au tribunal civil de droit commun (France 6 févr. 2017, 6). La même source signale que, de manière exceptionnelle en vertu d’un décret de 1986, les tribunaux civils de Gonaïves et de Saint-Marc comprennent chacun une « section terrienne » qui a compétence en matière de conflits terriens concernant les propriétés situées dans la plaine de l’Artibonite (France 6 févr. 2017, 6). La source signale que les « jugements de ces sections terriennes sont prononcés en premier et dernier ressort, et ne sont susceptibles que de pourvois en cassation », et ajoute qu’elles peuvent procéder en l’absence de l’occupant du terrain (France 6 févr. 2017, 6).

Parmi les sources qu’elle a consultées dans les délais fixés, la Direction des recherches n’a trouvé aucun renseignement sur les démarches à entreprendre par un propriétaire terrien pour entamer des poursuites judiciaires dans le cas d’un transfert frauduleux de terre.

Cette réponse a été préparée par la Direction des recherches à l'aide de renseignements puisés dans les sources qui sont à la disposition du public, et auxquelles la Direction des recherches a pu avoir accès dans les délais fixés. Cette réponse n'apporte pas, ni ne prétend apporter, de preuves concluantes quant au fondement d'une demande d'asile. Veuillez trouver ci-dessous les sources consultées pour la réponse à cette demande d'information.

Notes

[1] Le Groupe de travail sur le droit foncier en Haïti comprend « plus d’une centaine d’acteurs venant de divers secteurs (public, privé), ainsi que de diverses organisations non gouvernementales haïtiennes » (Groupe de travail 1er déc. 2014, 6). Un consortium entre la Faculté de droit de l’Université de Quisqueya et d’Habitat pour l’Humanité International forme le comité de pilotage du Groupe de travail (Groupe de travail 1er déc. 2014, 6).

[2] Global Land Alliance (GLA) est une ONG dont la mission est d’améliorer les connaissances et les pratiques afin [traduction] « d’assurer la sécurité foncière et l'utilisation efficace, inclusive et durable des terres et des ressources naturelles » (GLA s.d.).

Références

Avocat, Port-au-Prince. 25 juin 2020. Communication écrite envoyé à la Direction des recherches.

Bertelsmann Stiftung. 2020. « Haiti Country Report ». Bertelsmann Stiftung’s Transformation Index (BTI) 2020. [Date de consultation : 16 juill. 2020]

Constant Haïti. 6 mai 2020. Evens Carrière. « Me Hyppolite Darlens fait le point sur l’exécution de la décision de justice à laquelle Patrick Benoit a été brutalisé ». [Date de consultation : 16 juill. 2020]

Dorner, Véronique. 1er octobre 2014. « Les droits fonciers et l’accès à la terre en Haïti dans une perspective sociale et historique ». Présentation offerte dans le cadre de la formation intitulée Land Tenure and Property Rights (LTPR) Issues and Best Practices Training tenue par la United States Agency for International Development (USAID) à Pétionville, Haïti, 30 septembre-2 octobre 2014. [Date de consultation : 16 juill. 2020]

États-Unis (É.-U.). [2014a]. United States Agency for International Development (USAID). « Land Tenure and Property Rights Issues and Best Practices, September 30 – October 2, 2014. About the Instructors ». Formation à Pétionville, Haïti, 30 septembre-2 octobre 2014. [Date de consultation : 16 juill. 2020]

États-Unis (É.-U.). [2014b]. United States Agency for International Development (USAID). « Land Tenure and Property Rights (LTPR) Issues and Best PracticesTraining. Agenda ». Formation à Pétionville, Haïti, 30 septembre-2 octobre 2014. [Date de consultation : 16 juill. 2020]

France. 6 février 2017. Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Haïti : les conflits fonciers. [Date de consultation : 16 juill. 2020]

Global Land Alliance (GLA). Juin 2017. Programme de sécurisation foncière en milieu rural (PSFMR2) : étude d’impacts sociaux. [Date de consultation : 16 juill. 2020]

Global Land Alliance (GLA). S.d. « À propos ». [Date de consultation : 16 juill. 2020]

Groupe de travail sur le droit foncier en Haïti. 1er décembre 2014. Manuel des transactions foncières haïtiennes, vol. 2. La sécurisation des droits fonciers en Haïti : un guide pratique. [Date de consultation : 16 juill. 2020]

Groupe de travail sur le droit foncier en Haïti. 26 juin 2012. Manuel des transactions foncières haïtiennes, vol. 1. Vente légale de bien foncier en Haïti : un guide pratique. [Date de consultation : 16 juill. 2020]

Haïti. 2017. Arrêté créant une Brigade d’intervention contre l’insécurité foncière, ci-après dénommée : « BRICIF ». [Date de consultation : 16 juill. 2020]

Haïti. Octobre 2012. Ministère de l’Agriculture, des Ressources naturelles et du Développement rural. Synthèse nationale des résultats du recensement général de l’agriculture (RGA) 2008/2009. [Date de consultation : 16 juill. 2020]

Haïti. 1983. « Décret érigeant les actes de spoliation en délit ». [Date de consultation : 16 juill. 2020]

Haïti. 1964a. Décret du 22 septembre 1964, (fixation des loyers et fermage des biens du domaine privé de l'État. Tel que reproduit dans Textes traitant du domaine foncier de l’État, par le Comité interministériel d’aménagement du territoire (CIAT), s.d. [Date de consultation : 16 juill. 2020]

Haïti. 1964b. Décret adoptant une base plus équitable et plus rationnelle pour la fixation des loyer et fermage des Biens du Domaine Privé de l'État. [Date de consultation : 16 juill. 2020]

Haïti. S.d. Consulat général de la République d’Haïti à Montréal, Section des affaires consulaires. « Actes administratif. Procuration ou mandat ». [Date de consultation : 16 juill. 2020]

Miami Herald. 11 mai 2020. Jacqueline Charles. « It’s Not the First Time They Tried to Take His Haiti Land. This Time He Was Left for Dead ». [Date de consultation : 16 juill. 2020]

Le Nouvel Observateur avec l’Agence France-Presse (AFP). 3 mars 2017. « Faute de cadastre en Haïti, les spoliations se multiplient ». [Date de consultation : 16 juill. 2020]

Le Nouvelliste. 6 mai 2020. Valéry Daudier et Caleb Lefèvre. « Conflit terrien : Patrick Benoît brutalisé par des policiers accompagnant un juge de paix ». [Date de consultation : 16 juill. 2020]

Le Nouvelliste. 14 février 2020. Robenson Geffard. « Litige autour de l’héritage du Maestro Issa El-Saeih ». [Date de consultation : 20 juill. 2020]

Oriol, Michèle. 20 mai 2020. « Pour en finir avec l’insécurité foncière ». Haïti Info. [Date de consultation : 16 juill. 2020]

Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) et Réseau sud-est de défense des droits humains (RESEDH). 9 mai 2018. Rapport sur l’intervention de la BRICIF à Thiotte le 27 avril 2018. [Date de consultation : 16 juill. 2020]

van Vliet, Geert, et al. Janvier 2017. « La problématique foncière en Haïti : comment le recensement général agricole de 2010 questionne les politiques publiques ». Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD). (Convention CO0075-15 BID/IDB) [Date de consultation : 16 juill. 2020]

Vant Bèf Info (VBI). 1er mai 2018. « Justice : Opération échouée de la BRICIF à Thiotte, le responsable de coordination arrêté ». [Date de consultation : 16 juill. 2020]

Vant Bèf Info (VBI). 13 juillet 2017. « La Brigade d’intervention contre l’insécurité foncière : un remède contre un mal national ». [Date de consultation : 16 juill. 2020]

Autres sources consultées

Sources orales : deux cabinets d’avocats œuvrant dans le domaine du droit foncier; Haïti – Office de la protection du citoyen; Interuniversity Institute for Research and Development.

Sites Internet, y compris : Amnesty International; ecoi.net; États-Unis – Department of State; Factiva; Fédération internationale pour les droits humains; Haïti – Comité interministériel d’aménagement du territoire, ministère de la Justice et de la Sécurité publique; Human Rights Watch; Le National; Nations Unies – Refworld; Radio Métropole Haïti.

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