Haïti : information sur la situation en matière de criminalité, y compris sur la protection disponible contre la criminalité et sur l'efficacité de cette protection, particulièrement à Port-au-Prince, Cap-Haïtien, Jérémie, aux Cayes et aux Gonaïves (2016-juin 2019) [HTI106306.F]

Direction des recherches, Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada

1. Aperçu

Pour des renseignements sur la situation en matière de sécurité, y compris sur la criminalité et les mesures prises par l'État et d'autres intervenants pour lutter contre celle-ci pendant la période allant de 2014 à juin 2018, veuillez consulter la réponse à la demande d'information HTI106116 publiée en juin 2018.

Selon Freedom House , la criminalité, ainsi que la violence, sont [traduction] « généralisées » en Haïti (Freedom House 4 janv. 2018). Une représentante du Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) [1] a déclaré, dans une communication écrite envoyée à la Direction des recherches, que « [l]e contexte de criminalité a changé. Partout sur le territoire et spécialement à Port-au-Prince, on retrouve des groupes lourdement armés, ce qui favorise une insécurité généralisée » (RNDDH 17 mai 2019). Un rapport du RNDDH sur la situation des droits de la personne en Haïti publié en mai 2019 ajoute que « [l]a violence armée qui sévit aujourd'hui [ ] met en péril la vie de toute personne évoluant en Haïti » (RNDDH 3 mai 2019, 6).

Certaines sources signalent que le niveau de criminalité s'est accru en Haïti au cours des dernières années (professeure adjointe 20 mai 2019; Défenseurs plus 15 mai 2019). Dans une communication écrite envoyée à la Direction des recherches, une professeure adjointe en travail social à l'University of North Carolina Wilmington (UNCW), qui a travaillé sur le terrain en Haïti en lien avec la violence et la sécurité, a précisé que [traduction] « les crimes contre les personnes sont plus fréquents que par le passé » (professeure adjointe 20 mai 2019). Cependant, dans une communication écrite envoyée à la Direction des recherches, un professeur agrégé dans le département de développement international et mondialisation à l'Université d'Ottawa, qui étudie la sécurité et les réformes des agences de sécurité dans les États fragiles, notamment en Haïti, a souligné que, d'après les derniers rapports des Nations Unies, « les taux de criminalité violente (notamment les taux d'homicides) sont restés globalement stables depuis le retrait de la [Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti, MINUSTAH] en octobre 2017 » (professeur agrégé 21 mai 2019).

Selon le rapport du RNDDH, « [c]haque jour, des morts violentes par balles ou à l'arme blanche sont enregistrées. Pour la seule période allant de janvier à mars 2019, cent une(101) personnes ont perdu la vie dont treize(13) policiers, soit en moyenne, trente-trois(33) personnes par mois dont quatre(4) policiers » (RNDDH 3 mai 2019, paragr. 2, en italique dans l'original). Freedom House signale que, selon la Police nationale d'Haïti (PNH), près de 900 homicides auraient eu lieu en 2017, mais ajoute toutefois que [traduction] « les statistiques de la criminalité sont difficiles à authentifier et les crimes sont sous-déclarés par le gouvernement » (Freedom House 4 janv. 2018).

Au cours d'un entretien téléphonique avec la Direction des recherches, un représentant de Défenseurs plus, un organisme à but non lucratif œuvrant à la défense des droits de la personne en Haïti (Défenseurs plus s.d.), a précisé que les nombres de cas de banditisme, d'exécutions sommaires et de kidnappings ont particulièrement augmentés (Défenseurs plus 15 mai 2019). Le rapport du RNDDH souligne que

[l]es bandits armés contrôlent leurs zones, rançonnent les petits détaillants et les entreprises commerciales, fixant eux-mêmes le montant à verser régulièrement par ces marchands et entrepreneurs, pour avoir le droit de continuer à exercer leurs activités commerciales dans les zones concernées (RNDDH 3 mai 2019, paragr. 6).

Pour des renseignements sur les principaux groupes criminels, y compris sur leurs zones d'opération, leur structure et leurs activités, ainsi que la réponse de l'État, veuillez consulter la réponse à la demande d'information HTI106293 publiée en juin 2019.

2. Criminalité dans les régions

Selon la professeure adjointe,

[traduction]

la criminalité organisée dans les petites villes et les villes, en particulier les villes portuaires telles que Saint-Marc et aux Gonaïves, a augmenté en fréquence et est devenue de plus en plus grave (professeure adjointe 20 mai 2019).

La professeure adjointe a ajouté que [traduction] « [p]lusieurs bandes criminelles urbaines ont maintenant étendu leur portée dans les campagnes et contrôlent les zones suburbaines et rurales près et autour de la Route nationale no. 1 [qui va de Port-au-Prince à Cap-Haïtien, en passant par Saint-Marc et les Gonaïves] (professeure adjointe 20 mai 2019). Selon la même source, la zone de la Route nationale 1 [traduction] « est devenue très dangereuse au cours des quatre ou cinq dernières années, mais particulièrement au cours des trois dernières années » (professeure adjointe 20 mai 2019). Le rapport du RNDDH signale aussi que

[d]es raids sont menés contre des containers de marchandises en partance pour des villes de province. Des véhicules sont fouillés chaque jour sur les grands axes routiers. Les conducteurs et passagers sont alors tenus de se dépouiller de ce qu'ils possèdent. Ces attaques contre les véhicules se font de plus en plus fréquemment (RNDDH 3 mai 2019, paragr. 5).

Le représentant de Défenseurs plus a également signalé des cas de détournements de marchandises vers des régions et les quartiers où opèrent les gangs (Défenseurs plus 15 mai 2019).

Parmi les sources qu'elle a consultées dans les délais fixés, la Direction des recherches n'a trouvé aucun renseignement sur la criminalité aux Cayes ou à Jérémie.

3. Protection contre la criminalité

Selon Freedom House , il existe [traduction] « peu de protection contre le recours illégitime à la force » en Haïti (Freedom House 4 janv. 2018). Allant dans le même sens, la représentante du RNDDH a déclaré que « [l]a population haïtienne est livrée à elle-même et assiste impuissante à la montée de l'insécurité dans le pays » (RNDDH 17 mai 2019). Dans un rapport présenté en mars 2019 au Conseil de sécurité sur la Mission des Nations Unies pour l’appui à la justice en Haïti (MINUJUSTH), le secrétaire général des Nations Unies déclare que « [l]e public n'a guère confiance en l'appareil de sécurité et les institutions judiciaires, y compris pour ce qui est de réprimer la violence en bande organisée et la violence sexuelle et fondée sur le genre » (Nations Unies 1ermars 2019, paragr. 60). Pour des renseignements sur la violence contre les femmes en Haïti, y compris la violence sexuelle, ainsi que la protection offerte par l'État, veuillez consulter la réponse à la demande d'information HTI106291 publiée en juin 2019.

Selon le rapport du RNDDH, « aucune mesure concrète n'a été prise par les autorités concernées en vue d'assurer la sécurité des citoyens » (RNDDH 3 mai 2019, paragr. 51). Cependant, selon le rapport du secrétaire général des Nations Unies, « [l]e [g]ouvernement haïtien s'emploie de façon de plus en plus prioritaire à réduire la violence des bandes organisées et à établir des liens plus étroits avec les collectivités touchées par la criminalité violente » (Nations Unies 1ermars 2019, paragr. 14). Sans donner plus de détails, la même source ajoute que des « projets de lutte contre la violence de proximité sont en cours à Cap-Haïtien (département du Nord), Mahotière (département du Nord-Ouest), Hinche (département du Centre) et Port-au-Prince (La Saline, Bel-Air, Carrefour-Feuilles et Martissant) » (Nations Unies 1ermars 2019, paragr. 15).

3.1 Efficacité de la protection policière

De sources signalent que la responsabilité de la protection des citoyens est [« officiellement et légalement » (Défenseurs plus 15 mai 2019)] assumée par la PNH (RNDDH 17 mai 2019; Défenseurs plus 15 mai 2019). Dans son rapport, le secrétaire général des Nations Unies déclare que « [l]a [PNH] a assuré de façon de plus en plus autonome la sécurité dans l'ensemble du pays » (Nations Unies 1ermars 2019, paragr. 18). Le professeur agrégé s'est dit être du même avis que les Nations Unis à l'égard du fait que « la [PNH] s'est beaucoup renforcée depuis le séisme en 2010 » (professeur agrégé 21 mai 2019). Cependant, le rapport du RNDDH déclare que « [l]'institution policière est dépassée par l'insécurité » au pays (RNDDH 3 mai 2019, paragr. 51). Allant dans le même sens, la professeure adjointe a déclaré que la PNH [traduction] « continue à avoir de la difficulté à protéger la population, tant des criminels organisés que des criminels informels », et a ajouté que, depuis le départ de la MINUSTAH, la PNH n'a pas été en mesure d'assumer pleinement ses responsabilités (professeure adjointe 20 mai 2019). Selon le RNDDH, les policiers eux-mêmes sont ciblés par des criminels, notant que 15 policiers ont été tués entre janvier et avril 2019 (RNDDH 3 mai 2019, paragr. 2-4).

Selon des sources, la PNH a environ 15 000 personnes à son effectif, donc environ 1,3 agents de police pour chaque 1 000 personnes (Nations Unies 1ermars 2019, paragr. 20; professeur agrégé 21 mai 2019). Selon le rapport des Nations Unies, le personnel de police déployé dans les départements [à l'extérieur de Port-au-Prince] constitue 35 p. 100 du total des effectifs (Nations Unies 1ermars 2019, paragr. 20). Cependant, selon le représentant de Défenseurs plus, même s'il y a eu une augmentation des effectifs, celle-ci ne suit pas l'augmentation démographique, notamment à Port-au-Prince (Défenseurs plus 15 mai 2019). Selon la professeure adjointe, la PNH [traduction] « n'a jamais atteint la pleine capacité policière depuis sa création [en 1995] » (professeure adjointe 20 mai 2019).

Selon le représentant de Défenseurs plus, la PNH a une plus grande présence et a pu réagir efficacement dans certains « moments de crise », mais n'est présente que dans « certains lieux » (Défenseurs plus 15 mai 2019). Le secrétaire général des Nations Unies déclare que « la bonne performance » dont a fait preuve la PNH lors de manifestations ayant eu lieu aux cours des dernières années « témoigne de sa force accrue de maintenir l'ordre dans tout le pays » (Nations Unies 1ermars 2019, paragr. 18). Des sources soulignent que la PNH manque de ressources et d'équipement (Défenseurs plus 15 mai 2019; RNDDH 17 mai 2019; professeure adjointe 20 mai 2019). Selon le rapport de la RNDDH, « [d]es chefs de gang font ouvertement état de leurs capacités en armes et en munitions, affirmant dépasser de loin celles de l'institution policière » (RNDDH 3 mai 2019, paragr. 4). Parmi les sources qu'elle a consultées dans les délais fixés, la Direction des recherches n'a pas trouvé d'autres renseignements allant dans le même sens.

Selon la professeure adjointe, les policiers ne prennent pas d'initiative dans la prévention du crime et mènent [traduction] « rarement » des enquêtes criminelles (professeure adjointe 20 mai 2019). La même source a ajouté que les policiers [traduction] « ne pensent pas avoir l'expertise nécessaire pour enquêter sur des crimes ou interagir avec des victimes ou des criminels » (professeure adjointe 20 mai 2019). Allant dans le même sens, la représentante du RNDDH a déclaré que « [d]e rares opérations policières sont menées. Elles ne sont pas concluantes. Les personnes arrêtées sont généralement étrangères aux faits reprochés » (RNDDH 17 mai 2019). Le rapport du RNDDH ajoute que les « rares efforts [de la PNH] pour l'arrestation des bandits armés se soldent dans la majorité des cas, par la relaxation de ces derniers par l'institution judiciaire » (RNDDH 3 mai 2019, paragr. 51).

3.2 Autres acteurs qui offrent de la protection

Des sources signalent qu'il existe des compagnies de sécurité privées en Haïti qui offrent de la protection aux citoyens (Défenseurs plus 15 mai 2019; professeure adjointe 20 mai 2019). La professeure adjointe a déclaré que [traduction] « les élites, plusieurs exploitations commerciales et des ONG utilisent [les services de ces compagnies] pour assurer leur sécurité » (professeure adjointe 20 mai 2019). Selon Défenseurs plus, seules les personnes qui en ont les moyens peuvent embaucher ces compagnies (Défenseurs plus 15 mai 2019). Selon la professeure adjointe, certaines compagnies de sécurité privées ont des liens avec des groupes criminels armés (professeure adjointe 20 mai 2019). Parmi les sources qu'elle a consultées dans les délais fixés, la Direction des recherches n'a pas trouvé d'autres renseignements allant dans le même sens.

Le professeur agrégé a déclaré que « [d]ans certaines communautés urbaines, les citoyens ont organisé des "brigades de vigilance" pour combler les lacunes de la présence policière » (professeur agrégé 21 mai 2019). Selon la professeure adjointe, ce sont les groupes criminels armés qui sont le [traduction] « principal » fournisseur de sécurité pour les citoyens dans les zones populaires et dans les zones rurales défavorisées (professeure adjointe 20 mai 2019).

Cette réponse a été préparée par la Direction des recherches à l'aide de renseignements puisés dans les sources qui sont à la disposition du public, et auxquelles la Direction des recherches a pu avoir accès dans les délais fixés. Cette réponse n'apporte pas, ni ne prétend apporter, de preuves concluantes quant au fondement d'une demande d'asile. Veuillez trouver ci-dessous les sources consultées pour la réponse à cette demande d'information.

Note

[1] Le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) est une ONG haïtienne qui, d'une part, travaille dans le domaine de l'éducation en matière des droits de la personne, et, d'autre part, mène un programme de surveillance au sein des « institutions-clés de l'État en ce qui concerne leurs obligations de protéger les droits » de la personne (RNDDH s.d.).

Références

Défenseurs plus. 15 mai 2019. Entretien téléphonique avec un représentant.

Défenseurs plus. S.d. Facebook. « À propos ». [Date de consultation : 22 mai 2019]

Freedom House . 4 janvier 2018. « Haiti ». Freedom in the World 2018 . [Date de consultation : 30 mai 2019]

Nations Unies. 1ermars 2019. Conseil de sécurité. Mission des Nations Unies pour l'appui à la justice en Haïti: Rapport du secrétaire général . (S/2019/198) [Date de consultation : 30 mai 2019]

Professeur agrégé, Université d'Ottawa. 21 mai 2019. Communication écrite envoyée à la Direction des recherches.

Professeure adjointe, University of North Carolina Wilmington (UNCW). 20 mai 2019. Communication écrite envoyée à la Direction des recherches.

Réseau national de défense des droits humains (RNDDH). 17 mai 2019. Communication écrite envoyée à la Direction des recherches par une représentante.

Réseau national de défense des droits humains (RNDDH). 3 mai 2019. Situation chaotique des droits humains en Haïti et banditisme d’État : Le RNDDH dénonce l'inertie des autorités et la protection des gangs armés . [Date de consultation : 21 mai 2019]

Réseau national de défense des droits humains (RNDDH). S.d. « Vision & Mission ». [Date de consultation : 22 mai 2019]

Autres sources consultées

Sources orales : Haïti – Police nationale d'Haïti; Institute for Justice and Democracy in Haiti ; professeur agrégé en études mondiales qui a fait des recherches sur la police et la sécurité en Haïti; professeur associé en études mondiales qui fait des recherches sur la criminalité, notamment en Haïti; professeur associé en sociologie qui étudie les inégalités sociales, la pauvreté et la violence en Haïti; professeur associé en anthropologie qui a étudié la violence et la sécurité en Haïti.

Sites Internet, y compris :AlterPresse; Amnesty International; Centre pour la gouvernance du secteur de la sécurité; ecoi.net; États-Unis – Department of State; Factiva ; Fédération internationale des ligues des droits de l'homme; France – Cour nationale du droit d'asile, Office français de protection des réfugiés et apatrides; GlobalSecurity.org ; Haïti – ministère de la Justice et de la Sécurité publique, Office de la protection du citoyen, Police nationale d'Haïti; HaïtiLibre; Haïti Progrès; Haïti-Référence; International Crisis Group ; Justice et Paix Haïti; Nations Unies – Mission des Nations Unies pour l'appui à la justice en Haïti, Refworld ; Le Nouvelliste; Tout Haïti.

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