Cameroon: Drop Charges Against 2 Transgender Youth

L'accusation est fondée uniquement sur des préjugés et non sur des preuves

17 mai 2013

(Yaoundé) – Les autorités camerounaises devraient abandonner les poursuites contre deux jeunes transgenres, plutôt que de renvoyer leur dossier devant la Cour Suprême, ont déclaré aujourd’hui cinq organisations de défense des droits humains. Jonas K. et Franky D. sont poursuivis sur la base d'accusations d'homosexualité montées de toutes pièces, comme l'a estimé une cour d'appel, ont-elles ajouté dans une lettre au procureur de Yaoundé.

Les cinq organisations – Alternatives-Cameroun, l'Association pour la défense des homosexuels (ADEFHO), Cameroonian Foundation For AIDS (CAMFAIDS), International Lesbian, Gay, Bisexual, Trans and Intersex Association (ILGA), et  Human Rights Watch – ont demandé au procureur de retirer le pourvoi en cassation contestant la décision d'une cour d'appel qui a annulé le verdict de culpabilité prononcé à l'encontre de Jonas et Franky.

« Une cour d'appel a d'ores et déjà  statué qu'il n'y avait aucune preuve contre Jonas et Franky »,a déclaré Stéphane Koche, vice-président de l'ADEFHO. « Pourquoi le gouvernement camerounais perd-il son temps à persécuter deux jeunes gens innocents? »

Les cinq organisations ont envoyé leur lettre à l'occasion de la Journée internationale de lutte contre l'homophobie et la transphobie (International Day against Homophobia and Transphobia, IDAHoT), célébrée à travers le monde par des militants des droits humains qui appellent à mettre fin aux discriminations, à la haine et aux violences à l'encontre des lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexuels (LGBTI).

Les deux jeunes personnes transgenres, qui s'identifient comme des femmes, ont été arrêtées en juillet 2011 par des policiers qui avaient stoppé leur véhicule et constaté qu'ils portaient des vêtements féminins. Les policiers ont affirmé que Jonas, Franky et une troisième personne était en train de « se tripoter les parties génitales » dans la voiture, ce que les accusés ont nié. Le procureur n'a cité à la barre aucun témoin oculaire et a basé son argumentation sur des aveux de Jonas et Franky extorqués sous la contrainte alors qu'ils étaient en garde à vue.

Le tribunal de grande instance les a déclarés coupables de comportement homosexuel en novembre 2011, dans des circonstances qualifiées par les avocats de la défense de mascarade judiciaire. Le juge estimait que puisque les accusés avaient déclaré avoir bu de la liqueur Baileys la nuit de leur arrestation – que le juge a considérée comme étant une « boisson de femme » – cela prouvait qu'ils étaient homosexuels.

La Cour d'appel régionale du Centre, en reconnaissant l'absence de preuves, a annulé le verdict de culpabilité le 7 janvier. La Cour d'appel a estimé que la juridiction inférieure avait fondé sa décision de manière inappropriée sur des aveux extorqués à Jonas et Franky sous la contrainte alors qu'ils étaient aux mains de la police, et que l'accusation n'avait présenté aucun témoin ayant effectivement vu commettre les actes incriminés. La Cour a également conclu que même s'il existait des éléments de vérité dans le rapport de la police selon lequel les occupants du véhicule « se tripotaient » mutuellement, ce comportement pourrait être considéré d'un point de vue juridique comme « tentative d'homosexualité », mais pas comme « homosexualité », qui est entendu dans la loi camerounaise comme nécessitant une pénétration.

 « Quand l'accusation ne se soucie même pas de présenter des témoins oculaires, il est clair que son dossier manque de substance », a déclaré Neela Ghoshal, chercheuse sur les droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT) à Human Rights Watch. « Cette affaire apparaît comme une attaque menée pour des raisons idéologiques contre les minorités sexuelles et de genre, basée sur une loi discriminatoire, et qui n'aurait jamais dû aller jusqu'aux tribunaux ».

À la suite de la décision de la Cour d'appel, Jonas et Franky ont été libérés en janvier de la prison Kondengui à Yaoundé, où ils étaient détenus depuis un an et demi. Le 30 janvier, le Président camerounais Paul Biya, lors d'une conférence de presse à Paris, a fait allusion à leur libération en y voyant une preuve d’ « évolution ». Il a dit aux journalistes: « Nous venons d’apprendre que des gens condamnés pour homosexualité avaient été libérées, donc il y a une évolution des esprits, il ne faut pas désespérer ». 

Cependant, le bureau du procureur de la République avait déjà déposé un recours, le 10 janvier, pour contester auprès de la Cour Suprême la décision de la cour d'appel. Les avocats de la défense des deux personnes transgenres n'ont été informés de ce recours qu'au mois de mars.

« Biya essaye de convaincre la communauté internationale que la situation s'améliore pour les personnes LGBTI au Cameroun, mais pendant ce temps-là, l'État s'attaque avec agressivité aux droits des LGBTI », a déclaré Dominique Menoga, fondateur de CAMFAIDS, une organisation identitaire ayant des actions en droit de l’homme et plaidoyer gouvernemental pour la promotion des droits des personnes LGBTI. « C'est de l'hypocrisie au plus haut niveau ».

Lors de l'Examen Périodique Universel (EPU) du Cameroun au Conseil des droits de l'homme de l'ONU en mai 2013, 15 États membres de l'ONU ont présenté des recommandations au Cameroun relatives à son obligation de faire respecter les droits humains fondamentaux des personnes LGBTI. Les États ont recommandé que le Cameroun dépénalise les rapports consentants entre personnes du même sexe; protège les personnes LGBTI des violences; et adopte des mesures visant à éliminer les préjugés sociaux et la stigmatisation basée sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre.

« Les nombreux recommandations faites au Cameroun concernant ces obligations de protéger les droits des personnes LGBTI montre à quel niveau le Cameroun est perçu comme un pays extrêmement répressif sur le plan de d’identité de genre et l’orientation sexuelle »,  a déclaré Patricia Curzi, Officier de liaison de l'ONU pour l’ILGA.

Le Ministre des Affaires étrangères du Cameroun a déclaré aux Etats parties au Conseil des droits humains que le Cameroun a besoin de  « plus de temps » pour progresser sur les droits des LGBTI – une réponse qui offre peu de réconfort à Jonas et Franky, ainsi que d'autres Camerounais qui sont actuellement en prison en raison de leur présumée orientation sexuelle ou l'identité de genre.

« En tant que personnes transgenres, Jonas et Franky ne sont coupables de rien d'autre que de revendiquer une identité de genre que la plupart des Camerounais ne comprennent pas », a déclaré Yves Yomb, directeur exécutif d'Alternatives-Cameroun. « À l'occasion de la Journée internationale de lutte contre l'homophobie et la transphobie, nous appelons notre gouvernement à accepter les recommandations de l’EPU afin de mettre fin aux discriminations homophobes et transphobes, et à laisser tout simplement des gens comme Jonas et Franky vivre leur vie en paix ».

--------------------

Contexte
 

Jonas  K. et Franky D. ont été arrêtés le 26 juillet 2011 avec un homme de leur connaissance, Hilaire N., à l'occasion d'un contrôle routier durant lequel les policiers ont demandé à voir leurs pièces d'identité. Ni Jonas ni Franky ne portaient de document d'identité. Les policiers ont remarqué que d’après leur apparence physique, ils semblaient être de sexe masculin mais qu'ils portaient des vêtements féminins. La police les a arrêtés pour ces motifs. Dans un rapport rédigé après leur arrestation, la police a affirmé que les trois individus étaient en train de « se tripoter » dans la voiture et un autre rapport, présenté par un inspecteur, affirmait que le conducteur avait été vu mettant sa main dans les sous-vêtements de Jonas.

Aucun témoin de ces prétendus actes n’a été invité à déposer devant le tribunal. A la place, un autre agent de police a confirmé le contenu du rapport de son collègue. Jonas K. et Franky D. nient tous les deux « s’être tripoté » dans la voiture. Leur avocat a ajouté devant le tribunal qu’étant donné que le conducteur avait vu les agents de police et avait eu le temps de ralentir et de mettre la voiture à l’arrêt complet au point de contrôle routier, il serait surprenant que des activités sexuelles aient été en cours dans la voiture à ce moment-là.

Jonas and Franky ont dit à leurs avocats, à CAMFAIDS et à Human Rights Watch qu’ils avaient été passés à tabac lors de leur garde à vue et forcés à signer des aveux, qu’ils ont par la suite rétractés. Le 22 novembre 2011, ils ont été jugés et déclarés coupables. Ils ont été condamnés à cinq ans de prison, soit la peine maximale au Cameroun pour des activités homosexuelles, avant d’être libérés en janvier 2013 après le succès de leur pourvoi en appel.

Le Cameroun a entamé des poursuites judiciaires contre au moins 28 personnes pour comportement homosexuel entre 2010 et 2012, et au moins 12 de ces personnes ont été déclarées coupables. Au moins sept personnes sont en garde à vue sous l’accusation d’homosexualité, tandis qu’une autre, une lesbienne, a été déclarée coupable et purge une peine de cinq ans de prison. Au moins huit autres personnes ont été libérées sous caution mais doivent toujours répondre de chefs d’accusation qui ont été retenus. Selon les informations dont dispose Human Rights Watch, au cours des trois dernières années, le Cameroun a poursuivi en justice plus de personnes pour avoir eu des rapports consentants avec une personne du même sexe que n’importe quel autre pays au monde.

La loi du Cameroun qui pénalise les rapports sexuels consentants entre personnes du même sexe constitue une violation de ses engagements internationaux, ainsi que de sa propre constitution. Le Cameroun est un État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), qui garantit à tous les citoyens une protection égale, la non-discrimination et le droit à l’intimité de la vie privée. Sur la base de ces garanties, le Comité des droits de l’homme de l’ONU a statué que la pénalisation des rapports consensuels entre adultes de même sexe était une violation du PIDCP.

Le Cameroun a intégré ce Pacte dans sa constitution, ainsi que d’autres traités qu’il a ratifiés et qui sont devenus parties intégrantes de son droit national. Selon l’article 45 de la constitution, en cas de conflit entre les textes, ce sont les traités internationaux que le Cameroun a ratifiés qui prennent le pas sur la loi nationale. La constitution stipule en outre que « Tous les êtres humains sont nés égaux en droit. » Elle garantit des droits égaux à tous, ainsi que « la protection des minorités ».

La Journée internationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie a été créée en 2004 afin d’attirer l’attention de la classe politique, des personnes qui influencent l’opinion, des mouvements sociaux, de l’opinion publique et des médias sur les effets de l’homophobie et de la transphobie sur les droits humains des personnes concernées, et de promouvoir la tolérance, le respect et la liberté, indépendamment de l’orientation ou de l’identité sexuelles. Elle est célébrée dans au moins 100 pays dans le monde.
 

Associated documents