Haïti : information sur le traitement réservé par la société aux Haïtiens qui rentrent au pays après avoir vécu à l’étranger, notamment au Canada, durant une longue période; information indiquant s’ils risquent d’être la cible de violences, y compris le type de violences et leurs auteurs; information indiquant si leur retour peut représenter une menace pour leur famille (2018-août 2020) [HTI200334.F]

Direction des recherches, Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada

Cette réponse remplace la réponse à la demande d'information HTI200281 publiée en juillet 2020.

1. Haïtiens rapatriés

Des sources rapportent que le Canada est le troisième ou quatrième pays de destination des migrants haïtiens, après les États-Unis, la République dominicaine et la France (Nations Unies août 2019, 4; OCDE et INURED 2017, 38) [1]. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) signale ce qui suit sur son site Internet :

[C]es dernières années, un nombre croissant de pays voisins ont intensifié leurs programmes de déportation, un nombre croissant de ressortissants haïtiens vivant à l’étranger sont donc retourn[é]s [de] force en Haïti. La République dominicaine, les Bahamas, les États-Unis et la France ont renvoyé des migrants haïtiens, dont beaucoup n’ont que peu ou pas de capacités pour réussir leur réintégration socio-économique dans leur pays d'origine (Nations Unies s.d.).

Dans un rapport publié en août 2018, la Mission des Nations Unies pour l’appui à la justice en Haïti (MINUJUSTH) identifie, parmi les principales menaces qui pèsent sur les civils en Haïti, les « actes de violence liés […] aux expulsions en masse et aux retours spontanés de migrants haïtiens » (Nations Unies 30 août 2018, paragr. 20).

Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, le 21 avril 2020, un groupe d’organisations œuvrant pour les Haïtiens dans la région de Miami a demandé à l’État haïtien, dans une lettre ouverte adressée au président Jovenel Moïse, de « ne plus accepter les expulsés » provenant « des États-Unis et d’autres pays vers Haïti » parce que ce pays « est mal équipé pour faire face à une pandémie » (FANM, et al. 23 avr. 2020). Dans une communication écrite envoyée à la Direction des recherches, un représentant du secteur Vivre ensemble du Centre justice et foi (CJF) [2] a de même signalé qu’Haïti peine à faire face à la pandémie de Covid-19 (CJF 25 juin 2020).

1.1 Attitude de la société

Au cours d’un entretien avec la Direction des recherches, un avocat défenseur des droits de la personne en Haïti a précisé que les personnes revenant de l’étranger ne sont pas automatiquement catégorisées par la société en général, car, si leur situation n’est pas médiatisée, leurs concitoyens ne peuvent pas savoir qu’elles reviennent de l’étranger; « [l']indexation », selon lui, se passe au sein de l’entourage direct de la personne (avocat 17 juin 2020).

Plusieurs sources signalent que les Haïtiens qui reviennent de l’étranger après un long séjour sont marginalisés ou stigmatisés par la société (ICDH 23 juin 2020; INURED 21 juin 2020; avocat 17 juin 2020). Wooldy Edson Louidor, un journaliste et professeur spécialiste des migrations à l’Institut d’études sociales et culturelles PENSAR (Instituto de Estudios Sociales y Culturales PENSAR) de l’Université pontificale Javeriana (Pontificia Universidad Javeriana) de Bogotá (AJCU s.d.), décrit ce qui suit dans un article publié dans Haïti Liberté [3] :

À leur arrivée au pays, ces rapatriés forcés ou « volontaires » seront victimes de l’indifférence de toute une société et d’un État irresponsable. C’est le début d’une nouvelle migration –de retour ou à rebours–, où le rapatrié se sent étranger sur sa propre terre et éprouve de sérieuses difficultés à s’y réintégrer (Haïti Liberté 20 août 2019, en italique dans l’original).

Certaines sources rapportent que les Haïtiens rapatriés peuvent être considérés par leurs concitoyens comme des criminels ou comme les auteurs d’actes répréhensibles (CJF 25 juin 2020; GARR 25 juin 2020; ICDH 23 juin 2020). Selon l’avocat, des explications sont rarement fournies par le gouvernement du pays étranger aux autorités haïtiennes lors de l’expulsion d’un ressortissant haïtien, ce qui laisse le champ libre aux interprétations des fonctionnaires et des autres citoyens, qui présument souvent que la personne rapatriée a commis un délit, peu importe la gravité de celui-ci, donc qu’elle est fautive et condamnable (avocat 17 juin 2020). Dans une première communication écrite envoyée à la Direction des recherches, le directeur de l’Initiative citoyenne pour les droits de l’homme (ICDH) [4] a de même souligné que la société associe l’expulsion à une implication dans de « mauvaises affaires » au Canada et qu’une personne expulsée sera perçue comme un criminel (ICDH 23 juin 2020). Dans une communication écrite envoyée à la Direction des recherches, la responsable de la section Communication et plaidoyer du Groupe d’appui aux rapatriés et réfugiés (GARR) [5] a expliqué que, « si les gens savent que le migrant [a] été en contravention avec la justice du pays d’accueil où il se trouvait et qu’il a ensuite [été] déporté, on le qualifi[e] tout simplement de criminel, même s’il n’[a] commis qu’une petite infraction. La plupart des gens ont tendance à [le] fuir » (GARR 25 juin 2020). Le représentant du CJF a, pour sa part, expliqué ce qui suit :

En Haïti, on […] considère [les personnes qui reviennent en Haïti après avoir été expulsées d’un autre pays] comme des « déportés »; ce qui sous-entend […] « des personnes illégales ayant commis un crime à l’étranger ». Le déporté doit toujours, sous l'œil sceptique de la société, justifier qu’il n’a pas commis de crime et que sa faute est de n'avoir pas pu régulariser sa situation migratoire. La figure du déporté flotte dans les consciences en syntonie avec tout un récit de criminalisation des personnes migrantes. En dépit du travail de sensibilisation fait par de nombreuses ONGS et autres organisations grassroot haïtiennes, ce préjugé dépréciatif prégnant au sujet des personnes déportées (terme anathémisant au demeurant) continue de prévaloir et rend de plus en plus difficile, voire presque impossible, la réintégration des personnes expulsées (CJF 25 juin 2020).

D’après l’avocat, une personne ayant commis une faute administrative sera traitée de la même manière que celle qui a été déportée après avoir commis un crime, et cette personne pourrait avoir du mal à se trouver un emploi ou un logement (avocat 17 juin 2020). Selon la représentante du GARR, cependant, la discrimination affecte les personnes qui reviennent de la République dominicaine :

Généralement, les gens qui sont rapatriés de la République dominicaine sont des personnes très vulnérables qui n’ont pas un niveau d’éducation acceptable, qui travaillent souvent dans les chantiers de construction ou des champs agricoles ou qui sont des commerçants ambulants. De plus, ils sont privés de documents d’identité. Donc, ces personnes-là n’ont pas d’argent et sont souvent traitées de manière inhumaine par les autorités haïtiennes (GARR 25 juin 2020).

Selon Wooldy Edson Louidor, dans un article portant sur la perception de la diaspora par les Haïtiens,

l’une des représentations les plus « laides » de la diaspora haïtienne consiste à considérer ces compatriotes, vivant surtout dans le Premier monde, comme des « riches », dont certains profitent de leurs dollars américains ou leurs euros pour s’adonner à toutes sortes de bamboches, voire de débauches, au cours de leurs vacances dans ce « pays pauvre » (Haïti Liberté 31 juill. 2019).

Selon la même source, les Haïtiens rapatriés peuvent être « taxés d’“opportunistes qui profitent de la moindre occasion politique pour retourner en Haïti et venir téter les mamelles de cette mère moribonde” » (Haïti Liberté 31 juill. 2019). La représentante du GARR a de même noté que « les gens les appellent souvent “diaspora” et pensent qu’ils ont beaucoup d’argent » (GARR 25 juin 2020).

Parmi les facteurs susceptibles de compliquer le retour au pays, les sources ont mentionné les suivants :

  • une orientation sexuelle « hors norme » ou faire partie des minorités sexuelles et de genre (CJF 25 juin 2020; GARR 25 juin 2020; ICDH 23 juin 2020; Nations Unies 23 juin 2020; avocat 17 juin 2020);
  • l’absence d’une famille ou d’un réseau de contacts (CJF 25 juin 2020; GARR 25 juin 2020; avocat 17 juin 2020);
  • une situation financière difficile (CJF 25 juin 2020; ICDH 23 juin 2020; GARR 25 juin 2020);
  • un manque d’éducation (CJF 25 juin 2020; GARR 25 juin 2020);
  • le genre féminin (CJF 25 juin 2020); et
  • un âge trop jeune ou trop avancé (CJF 25 juin 2020).

2. Risques
2.1 Liés aux circonstances

Des sources ont signalé qu’une personne qui revient en Haïti après avoir vécu longuement à l’étranger n’est pas nécessairement ou automatiquement à risque en Haïti (GARR 25 juin 2020; INURED 21 juin 2020). Le risque, selon des sources, dépend des circonstances de la personne (INURED 21 juin 2020; avocat 17 juin 2020). Dans une communication écrite envoyée à la Direction des recherches, le chancelier de l’Institut interuniversitaire de recherche et de développement (Interuniversity Institute for Research and Development - INURED) [6] a, par exemple, expliqué ce qui suit :

[traduction]

Les risques dépendent des éléments suivants : si la personne a fui ou non sa communauté à cause de la violence politique; si elle a été témoin d'un crime; si elle a été chassée du pays à cause d'un crime dont elle est accusée; si elle a quitté la communauté grâce à des prêts qu’elle ne pourra rembourser; si elle a été prise dans des violences communautaires provoquées par différentes factions (dans ce cas, si elle est retournée de force, la personne doit s’allier à une des factions opposées); et d'autres situations similaires (INURED 21 juin 2020).

Le directeur de l’ICDH a lui aussi signalé que les opposants politiques ou le régime actuel pouvaient représenter une menace pour une personne ayant émigré en raison de « persécutions politiques » (ICDH 23 juin 2020).

La représentante du GARR a, pour sa part, signalé qu’une personne impliquée dans des conflits terriens ou de propriété pourrait être exposée à la menace de criminels « à la solde de la partie adverse » (GARR 25 juin 2020).

2.2 Liés au statut de personne rapatriée

Selon certaines sources, le statut de personne rapatriée, que la société associe à la criminalité, peut, dans certaines circonstances, représenter un risque pour la personne (ICDH 23 juin 2020; INURED 21 juin 2020). Le chancelier de l’INURED a expliqué que [traduction] « [l]es personnes expulsées sont généralement traitées avec suspicion et peuvent être victimes de violences si un crime se produit dans leur communauté après leur arrivée » (INURED 21 juin 2020). Le directeur de l’ICDH a affirmé que la vie de la personne expulsée qui est perçue comme un criminel « sera automatiquement menacée en Haïti » pour cette raison (ICDH 23 juin 2020). Parmi les sources qu'elle a consultées dans les délais fixés, la Direction des recherches n'a pas trouvé d'autres renseignements allant dans le même sens.

2.3 Liés à la convoitise

Plusieurs sources signalent que les Haïtiens qui reviennent au pays après un long séjour à l’étranger risquent de devenir la cible des criminels (Nations Unies 23 juin 2020) parce qu’ils sont perçus comme étant riches (CJF 25 juin 2020; GARR 25 juin 2020; ICDH 23 juin 2020) ou comme ayant accès à des richesses en raison de leurs relations à l’étranger (avocat 17 juin 2020). Le chancelier de l’INURED a précisé que cela peut arriver [traduction] « indépendamment des conditions dans lesquelles les retours ont eu lieu » (INURED 21 juin 2020). Selon le représentant du CJF, « les personnes sont ciblées par les criminels parce qu’elles sont censées venir de l’Amérique du Nord après y avoir travaillé et gagné de l’argent. Du moins, c’est l’imaginaire qui s’est répandu dans le pays » (CJF 25 juin 2020).

L’avocat a signalé que les personnes revenant de l’étranger qui sont jeunes sont davantage ciblées par les criminels que les personnes âgées qui bénéficient d’un certain respect et d’une compassion (avocat 17 juin 2020). Parmi les sources qu’elle a consultées dans les délais fixés, la Direction des recherches n’a pas trouvé d’autres renseignements allant dans le même sens.

2.4 Types de risques

Selon l’avocat, le risque couru peut aller du simple vol à l’assassinat, en passant par les menaces et l’enlèvement contre rançon (avocat 17 juin 2020). D’autres sources parlent d’attaques à main armée (Nations Unies 23 juin 2020; France 29 mai 2020), certaines visant des véhicules (France 29 mai 2020).

Selon l’avocat, même si les enlèvements sont moins fréquents qu’auparavant en Haïti, ils continuent de se produire (avocat 17 juin 2020). Le chef de mission de l’OIM en Haïti, dans une communication écrite envoyée à la Direction des recherches, a souligné qu’avec le confinement lié à la pandémie de COVID-19, la présence limitée des personnes dans les rues et la diminution des retours de l’étranger, cette activité criminelle a diminué, mais qu’en temps normal, « les enlèvements et les tentatives de vols et/ou braquages se concentraient [à] certains moments de l’année, comme par exemple les fêtes de Noël, quand un nombre important [d’Haïtiens] vivant à l’étranger rentrent au pays [rejoindre leur] famille » (Nations Unies 23 juin 2020). Des sources signalent que la fréquence des enlèvements contre rançon est en hausse depuis 2019 en Haïti (Nations Unies 23 juin 2020; Canada 22 juin 2020). Selon l’Avis aux voyageurs pour Haïti du Département d’État des États-Unis en date du 6 août 2020, [traduction] « [l]es enlèvements sont très répandus » et « [d]es citoyens américains en ont été victimes » (É.-U. 6 août 2020). Selon le gouvernement du Canada, « la population haïtienne en général, sans distinction d’origine sociale, est exposée à des risques d’enlèvement […] en échange d’une rançon » (Canada 22 juin 2020).

Dans un article datant de février 2020 paru dans le Miami Herald, un quotidien de la Floride, une journaliste qui fait des reportages sur Haïti depuis plus de dix ans décrit ainsi le modus operandi des ravisseurs :

[traduction]

[Ils] commencent tous par demander des rançons élevées et finissent par se contenter de montants moins élevés, après avoir négocié. Mais même les plus petites sommes sont difficiles à obtenir, car les banques haïtiennes rationnent le montant en dollars américains qu'elles mettent à la disposition des clients. Dans certains cas, les ravisseurs ont exigé jusqu'à 100 000 dollars, voire plus (Miami Herald 13 févr. 2020).

Une militante et professeure de sciences politiques, interrogée dans le cadre du même article, a affirmé avoir l’impression que le phénomène se produit [traduction] « sans distinction » et qu’il est « très répandu » (Miami Herald 13 févr. 2020). Cette professeure dirige une organisation cherchant à créer une base de données des enlèvements afin d'aider la police dans ses enquêtes et de mieux représenter l'ampleur du phénomène (Miami Herald 13 févr. 2020). Un médecin de soins de santé primaire, également interrogé dans le cadre de cet article, a signalé que la police était [traduction] « absente » en termes de réponse aux enlèvements, notant que « "[t]out le monde est en danger" » (Miami Herald 13 févr. 2020).

D'après le même article, un porte-parole de la police haïtienne a déclaré que la police [traduction] « "reconnaît le phénomène […] Tout le monde le voit, tout le monde en a entendu parler" » (Miami Herald 13 févr. 2020). Ce constat aurait fait suite à [traduction] « [l’] indignation » du public face à la réponse de l’État aux enlèvements, « alors que plusieurs enlèvements de personnes dans le cadre de leurs activités quotidiennes sont signalés » (Miami Herald 13 févr. 2020).

2.5 Agents de risque

Certaines sources rapportent que les agents à craindre sont de simples voleurs (Canada 22 juin 2020; avocat 17 juin 2020), mais d’autres désignent les gangs ou bandes criminelles (Nations Unies 23 juin 2020; ICDH 23 juin 2020; France 29 mai 2020).

L’avocat a également signalé que les personnes revenant de l’étranger peuvent courir des risques aux mains de rivaux commerciaux ou professionnels qui pourraient vouloir les intimider ou les éliminer en raison de la concurrence qu’ils représentent avec l’expérience qu’ils ont acquise et les contacts qu’ils se sont faits à l’étranger (avocat 17 juin 2020). Parmi les sources qu’elle a consultées dans les délais fixés, la Direction des recherches n’a pas trouvé d’autres renseignements allant dans le même sens.

Certaines sources ont affirmé que les proches d’une personne revenant de l’étranger pouvaient, dans certains cas, représenter une menace pour cette personne, parce que son retour les prive de l’argent qu’elle leur envoyait de l’étranger (ICDH 23 juin 2020; Nations Unies 23 juin 2020). Selon les données de la Banque mondiale, en 2019, les envois de fonds des travailleurs migrants haïtiens représentaient plus de 30 p. 100 du produit intérieur brut (PIB) (Banque mondiale 2 juill. 2019). L’OIM, qui cite des données de la Banque mondiale, souligne au sujet d’Haïti que « les envois de fonds sont la principale source de devises étrangères pour le pays » et qu’Haïti est « l’un des pays les plus dépendants des transferts de fonds au monde » (Nations Unies août 2019, 4). Le directeur de l’ICDH a expliqué que les attaques par la famille arrivent notamment lorsque la famille de cette personne manque de moyens :

Le fait [qu’un de ses membres quitte] Haïti pour aller vivre au Canada, pour cette famille, c’est un soulagement. Le migrant haïtien demandeur d'asile devient une source de [revenus] pour cette [famille]. Ce migrant haïtien, une fois qu’il a trouvé un emploi au Canada, va envoyer de l’argent de manière régulière aux membres de la famille basés en Haïti. […] Donc, le retour [de] cette personne [est perçu comme] une déception et [engendre] une menace pour la vie de la personne elle-même par les membres de sa famille (ICDH 23 juin 2020).

Selon le chef de mission de l’OIM en Haïti, certaines attaques perpétrées contre des Haïtiens binationaux arrivant sur des vols internationaux avaient comme commanditaires des membres de leur famille qui étaient au courant de l’argent que cette personne avait en sa possession (Nations Unies 23 juin 2020). Parmi les sources qu’elle a consultées dans les délais fixés, la Direction des recherches n’a pas trouvé d’autres renseignements allant dans le même sens.

2.6 Lieux

L’avocat a expliqué, en signalant qu’il l’avait lui-même souvent éprouvé, que le risque d’être ciblé par les criminels est particulièrement couru dans les environs de l’aéroport international Toussaint-Louverture (avocat 17 juin 2020). Selon lui, « la zone de l’aéroport de Port-au-Prince est considérée comme une zone rouge, où les voleurs sévissent et s’en prennent aux personnes qui reviennent de l’étranger parce qu’elles sont perçues comme ayant accès à des richesses » (avocat 17 juin 2020). Les sites Internet gouvernementaux de conseils aux voyageurs de la France et du Canada signalent de même que la zone de l’aéroport international de Port-au-Prince est une zone à risque pour les personnes arrivant de l’étranger qui peuvent être perçues comme étant en possession de richesses (Canada 22 juin 2020; France 29 mai 2020). Le gouvernement du Canada signale que « des voleurs [y] sont à l’œuvre » et que « [l]es étrangers sont considérés comme riches, ce qui peut susciter la convoitise » (Canada 22 juin 2020). Le gouvernement de la France explique que les agressions à main armée « visant les voyageurs, y compris dans le cadre de visites familiales », y sont fréquentes et « parfois mortelles » (France 29 mai 2020). Selon l’avocat, ce problème d’insécurité existe aussi autour des autres aéroports du pays ainsi qu’à la proximité des zones transfrontalières (avocat 17 juin 2020).

D’autres sources ont aussi mentionné que le risque d’être ciblé par les criminels par convoitise pouvait varier « selon le lieu » (GARR 25 juin 2020; ICDH 23 juin 2020). Dans une seconde communication écrite envoyée à la Direction des recherches, le directeur de l’ICDH a précisé que le risque peut être plus important selon le lieu où s’installe une personne en revenant en Haïti et a expliqué ce qui suit :

[P]ar exemple, pour une personne qui habite à Martissant (sud de la capitale) ou dans les zones avoisinantes (Carrefour Feuille, Centre-Ville), le risque est plus élevé que si cette même personne vit au haut de Delmas ou à Pétion-Ville. Une personne qui habite au bas de Delmas est plus exposée que si cette personne vit au haut de Delmas.

Une personne migrante qui rentre du Canada et qui va dans le nord du pays (Cap Haïtien) en passant par Gonaïves, précisément à l'entrée de Gonaïves (Savien), est exposée à des risques élevés. Ces zones sont contrôlées par des gangs. S’ils savent que cette personne vient du Canada, c’est certain que les gangs vont la kidnapper (ICDH 26 juin 2020).

Dans un deuxième article consacré aux enlèvements en Haïti, la journaliste du Miami Herald rapporte le cas de deux Américains d’origine haïtienne enlevés contre rançon pendant qu’ils visitaient Haïti en février 2020 :

[traduction]

Tous deux disent avoir été arrêtés par une voiture chargée de membres de gangs lourdement armés alors qu'ils traversaient la ville de Delmas, qui est devenue un foyer de l'épidémie croissante d'enlèvements. Et tous deux disent qu'ils ont été emmenés à l'autre bout de la ville, à Village de Dieu, un bidonville sans loi qui est devenu le repaire des kidnappeurs (Miami Herald 8 mars 2020).

Une des victimes a affirmé à la journaliste qu’elle pensait avoir été ciblée parce qu’elle circulait [traduction] « "dans une belle voiture" » (Miami Herald 8 mars 2020). Le même article rapporte les propos d’une militante haïtienne pour les droits de la personne, s’adressant au Conseil de sécurité des Nations Unies :

[traduction]

« La liberté de circulation n'est pas garantie » […] il existe 23 gangs armés dans le pays, juste à Port-au-Prince, […] un tiers de la nation est sous le contrôle des gangs. « Les routes sont dangereuses. Les fiefs des bandes armées sont devenus inaccessibles aux agents de la force publique et les bandes armées revendiquent le contrôle total sur la population civile vivant dans ces zones ainsi que sur les personnes qu'ils ont kidnappées » (Miami Herald 8 mars 2020).

Pour d’autres renseignements sur les quartiers et les régions contrôlés par des gangs en Haïti, veuillez consulter les réponses aux demandes d’information HTI106293 et HTI106306 publiées en juin 2019.

3. Menace pour la famille

Selon le chef de mission de l’OIM en Haïti, « de façon générale », la famille haïtienne d’une personne revenant au pays après une longue absence ne court pas de risque en raison du retour de cette personne et « le retour en famille n’est pas un facteur de risque [en soi] pour la personne ni pour sa famille » (Nations Unies 23 juin 2020).

Des sources, cependant, ont affirmé que la famille d’une personne revenant en Haïti après un long séjour à l’étranger pouvait courir des risques en raison du retour de cette personne (CJF 25 juin 2020; INURED 21 juin 2020). L’avocat a d’abord expliqué que les risques qui sont courus par une personne qui revient de l’étranger et qui se trouve, par exemple, dans la zone de l’aéroport, sont partagés par n’importe quelle personne qui l’accompagne, comme un membre de sa famille venu le chercher en voiture (avocat 17 juin 2020). La même source a en outre expliqué ce qui suit :

Les membres de la famille d’une personne revenant de l’étranger peuvent eux aussi être ciblés parce qu’ils peuvent servir de moyen d’accéder à la richesse ou d’influencer la personne qui revient. Par exemple, on pourrait enlever un membre de la famille de cette personne et lui demander de remettre une rançon pour sa libération. On pourrait aussi menacer de faire du mal à un membre de la famille si la personne qui revient ne paye pas une somme demandée ou ne fait pas ce qu’on lui demande (avocat 17 juin 2020).

De même, selon la représentante du GARR,

les risques sont beaucoup [plus] évidents pour la personne elle-même. Toutefois, si on sait que la personne qui est revenue a beaucoup d’argent, elle pourrait se faire kidnapper par des malfrats qui pourraient aussi se saisir des membres de sa famille. Tout cela, dans l’intention de soutirer de l’argent à la personne. Cependant, cela dépend du lieu de résidence de la personne et de sa famille (GARR 25 juin 2020).

Le représentant du CJF a affirmé que la famille d’une personne rapatriée court des risques « parce que les bandits présument que tout Haïtien qui vient de l’Amérique du Nord possède de l’argent », ce qui fait que lui et sa famille sont « immédiatement ciblés » (CJF 25 juin 2020). Selon la même source, « maints témoignages vont dans ce sens » (CJF 25 juin 2020). L’article du Miami Herald mentionne en outre que [traduction] « [d]ans plusieurs cas, après la libération d'une personne, un autre proche de l'individu est également signalé comme ayant été enlevé. Cela a conduit certains à penser que les ravisseurs […] utilisent également les téléphones des victimes pour repérer leurs prochaines cibles » (Miami Herald 8 mars 2020).

Cette réponse a été préparée par la Direction des recherches à l’aide de renseignements puisés dans les sources qui sont à la disposition du public, et auxquelles la Direction des recherches a pu avoir accès dans les délais fixés. Cette réponse n'apporte pas, ni ne prétend apporter, de preuves concluantes quant au fondement d'une demande d'asile. Veuillez trouver ci-dessous les sources consultées pour la réponse à cette demande d’information.

Notes

[1] L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) signale que les données migratoires pour Haïti ne sont « généralement pas disponibles et fiables » (Nations Unies août 2019, 5).

[2] Le secteur Vivre ensemble du Centre justice et foi (CJF), basé à Montréal, œuvre à l’accueil de nouveaux arrivants, à la défense de leurs droits et à leur intégration au Québec (CJF s.d.).

[3] L’hebdomadaire Haïti Liberté, « d’une sensibilité de gauche et altermondialiste » et consacré à l’actualité haïtienne, est publié à New York et distribué en Haïti, aux États-Unis, en France et au Canada (Courrier international s.d.).

[4] L’Initiative citoyenne pour les droits de l'homme (ICDH) est une organisation haïtienne de défense des droits de la personne dont les activités comprennent l’assistance aux migrants (ICDH s.d.).

[5] Le Groupe d'appui aux rapatriés et réfugiés (GARR) est une plateforme haïtienne qui rassemble des associations et des ONG qui œuvrent à la défense des droits des Haïtiens migrants, notamment en République dominicaine; il est présent à Port-au-Prince et aux frontières en Haïti où il travaille avec des déplacés internes (GARR 10 janv. 2012).

[6] L’Interuniversity Institute for Research and Development (INURED) fait partie d’un réseau international d'universités et de centres de recherche et a pour but de [traduction] « contribuer au développement de la recherche de haut niveau et de la formation scientifique en Haïti afin d'améliorer les conditions éducatives, socio-économiques et politiques du peuple haïtien » (INURED s.d.).

Références

Association of Jesuit Colleges & Universities (AJCU). S.d. « Prof. Wooldy Edson Louidor ». [Date de consultation : 7 juill. 2020]

Avocat. 17 juin 2020. Communication écrite envoyée à la Direction des recherches.

Banque mondiale. 2 juillet 2019. Donna Barne et Florina Pirlea. « Les envois de fonds des travailleurs migrants sont la principale source de financement extérieur des pays à revenu faible et intermédiaire (excepté en Chine) ». [Date de consultation : 6 juill. 2020]

Canada. 22 juin 2020 (mis à jour 25 juin 2020). Voyage.gc.ca. « Conseils et avertissements pour Haïti – Voyage ». [Date de consultation : 25 juin 2020]

Centre justice et foi (CJF). 25 juin 2020. Communication écrite envoyée à la Direction des recherches par un représentant du secteur Vivre ensemble.

Centre justice et foi (CJF). S.d. Vivre ensemble. « Qui sommes-nous? ». [Date de consultation : 3 juill. 2020]

Courrier international. S.d. « Haïti Liberté ». [Date de consultation : 2 juill. 2020]

États-Unis (É.-U.). 6 août 2020. Department of State. « Haiti Travel Advisory ». [Date de consultation : 25 août 2020]

Family Action Network Movement (FANM), et al. 23 avril 2020. Lettre ouverte de Family Action Network Movement (FANM) à Jovenel Moise. [Date de consultation : 25 juin 2020]

France. 29 mai 2020 (mis à jour 2 juin 2020). Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères. « Conseils aux voyageurs : Haïti ». [Date de consultation : 30 juin 2020]

Groupe d’appui aux rapatriés et réfugiés (GARR). 25 juin 2020. Communication écrite envoyée à la Direction des recherches par la responsable de la section Communication et plaidoyer.

Groupe d’appui aux rapatriés et réfugiés (GARR). 10 janvier 2012. « Présentation du GARR ». [Date de consultation : 5 juill. 2020]

Haïti Liberté. 20 août 2019. Wooldy Edson Louidor. « Le déracinement haïtien actuel : de plus en plus complexe et vulnérable ». [Date de consultation : 25 juin 2020]

Haïti Liberté. 31 juillet 2019. Wooldy Edson Louidor. « Les multiples visages de la migration haïtienne et l’urgence de construire une "Autre Haïti possible" ». [Date de consultation : 6 juill. 2020]

Initiative citoyenne pour les droits de l’homme (ICDH). 26 juin 2020. Communication écrite envoyée à la Direction des recherches par le directeur.

Initiative citoyenne pour les droits de l’homme (ICDH). 23 juin 2020. Communication écrite envoyée à la Direction des recherches par le directeur.

Initiative citoyenne pour les droits de l’homme (ICDH). S.d. « About CIHR ». [Date de consultation : 7 juill. 2020]

Interuniversity Institute for Research and Development (INURED). 21 juin 2020. Communication écrite envoyée à la Direction des recherches par le chancelier.

Interuniversity Institute for Research and Development (INURED). S.d. « Mission ». [Date de consultation : 3 juill. 2020]

Miami Herald. 8 mars 2020. Jacqueline Charles. « Anatomy of Haiti's Kidnapping Epidemic: No One Seems Immune ». [Date de consultation : 25 août 2020]

Miami Herald. 13 février 2020. Jacqueline Charles. « Haiti Police Under Fire as Number of Kidnappings Spikes Just Before Carnival ». [Date de consultation : 26 août 2020]

Nations Unies. 23 juin 2020. Organisation internationale pour les migrations (OIM). Communication écrite envoyée à la Direction des recherches par le chef de mission en Haïti.

Nations Unies. Août 2019. Organisation internationale pour les migrations (OIM). Analyse de besoins de la gouvernance des migrations : Haïti. [Date de consultation : 2 juill. 2020]

Nations Unies. 30 août 2018. Mission des Nations Unies pour l’appui à la justice en Haïti (MINUJUSTH). Rapport du Secrétaire général. (S/2018/795) [Date de consultation : 6 juill. 2020]

Nations Unies. S.d. Organisation internationale pour les migrations (OIM). Assistance aux migrants. [Date de consultation : 2 juill. 2020]

Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et Interuniversity Institute for Research and Development (INURED). 2017. « Chapitre 2 : Paysage de la migration en Haïti ». Interactions entre politiques publiques, migrations et développement en Haïti. [Date de consultation : 2 juill. 2020]

Autres sources consultées

Sources orales : Bureau des droits humains en Haïti; Centre d’étude et de coopération internationale; Haïti – Office de la protection du citoyen; Institute for Justice & Democracy in Haiti; Plate-forme des organisations haïtiennes des droits humains; professeure adjointe en travail social dans une université américain dont les intérêts incluent Haïti; professeur de sociologie dans une université américaine dont les intérêts incluent Haïti; Réseau national de défense des droits humains.

Sites Internet, y compris : Agence France-Presse; Amnesty International; ecoi.net; États-Unis – Department of State; Factiva; Freedom House; Haïti – Primature; HaïtiLibre; Human Rights Watch; International Crisis Group; Nations Unies – Refworld; Le Nouvelliste; La Presse canadienne; Le Soleil; Vant Bèf Info.

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